
« Regards Croisés » est un cycle de webinaires qui a été créé et initié par Normandie Livre et Lecture (N2L), Auvergne-Rhône Alpes Livre et Lecture (AURALL), Mobilis et l’Association pour l’écologie du livre dans le cadre de la programmation commune « écologie du livre en régions ». Il s’agit d’un cycle de webinaires qui propose des temps sur le sujet d’écologie sous un prisme interprofessionnel et transversal, en partenariat avec les Structures Régionales du Livre et de la Lecture, la FILL – Fédération Interrégionale du livre et de la lecture, et l’Association pour l’écologie du livre.
Cette idée est née de l'intérêt de croiser les regards entre secteurs économiques qui n'ont à priori rien à voir avec le livre mais qui constituent des sources inspirantes. Ici, il est question d’un zoom sur l'économie circulaire et de la réparation : la rénovation de livres avec Clic logistique et la réparation d'électroménager avec ENVIE.
Déjà :
- Entre agriculture et livre sur un autre modèle économique : l’AMAP avec Adak et Miramap,
- Entre les médias et le livre sur l’indépendance avec Coop-médias et Oplibris,
- Entre la mode et le livre sur la surproduction avec l’Association pour l’écologie du livre et En mode climat
Les questions inhérentes sont les suivantes : En quoi ces deux exemples peuvent s’inspirer mutuellement et être inspirant l’un pour l’autre. Est-il possible d’imaginer des ponts ? Comment passer de petites initiatives ancrées à un mouvement politique qui peut inverser le rapport de force ?
Intervenant.es :
- Charles-Henry D’Ocagne, Directeur de CLIC Logistique
- Nesrine Dani, Directrice Stratégies Partenariats, Sensibilisation et Services de l’Économie Circulaire, Directrice Envie Le Labo
- Animation : Mélanie Cronier, Mobilis
La question sous jacente à ce webinaire est la suivante : la filière du livre qui n’est pas encore inclus dans la loi AGEC, – il n’y a pas de REP dans le livre. Est-ce que cette filière peut s’inspirer du fonctionnement de la fédération ENVIE et comment ?
Comment imaginer cette circularité du livre de manière automatique : réemploi, don, recyclage ?
Cette question est corrélation avec la surproduction de livres et les chiffres déjà connus : 165000 livres détruits chaque jour et 456,7 millions d'exemplaires produits en 2020 (Shift Project).
Plusieurs concepts dans ce webinaire :
- Loi AGEC
- Responsabilité élargie du producteur (REP)
- Économie circulaire
- Économie de la fonctionnalité
- Réemploi, réutilisation et réparation
- Recyclage
Présentation des structures
ENVIE
ENVIE (Entreprise Nouvelle Vers l’Insertion Économique) qui forme et accompagne des personnes vers un emploi durable à travers des activités de rénovation, réparation, vente d’appareils électroniques ainsi que de la collecte, le tri et le traitement des déchets d’équipements électriques et électroniques. C’est une entreprise tournée uniquement vers l’économie circulaire avec comme cœur de métier : l’électroménager.
Ces activités sont les suivantes :
- collecte des anciens appareils, tri et reconditionnement : 1/3 des déchets d’équipement électrique et électronique sont collectés par ENVIE. Ces collectes sont destinées au recyclage : récupération d’appareils à priori pas récupérable. Désossement pour fabriquer de nouveaux objets qui demandent de nouvelles matières premières.
- vente au travers du réseau Envie : 50 magasins. Entre 30 et 60 % moins onéreux que le neuf avec une garantie de 2 ans.
La Fédération ENVIE est une tête de réseau, avec 53 structures d’insertion, 3800 salarié.e dont 2800 en parcours d’insertion. Autour de 150000 appareils électroménager sont distribués par an. Sa spécificité est la "collecte préservante" ; attention portée sur chaque appareil pour le réemployer avant de le destiner au recyclage.
Le secteur est en crise actuellement. Une de raison est dû au fait que cette activité est soumise à la concurrence : réponse à des appels d’offre via l’éco-organisme avec lequel ENVIE travaille. Cette année, perte de ce marché : choix de privilégier le coût au profit du social, de l’environnemental avec une menace sur 5 unités notamment dans l’Ouest.
CLIC Logistique
C'est une entreprise de logistique avec plusieurs cœurs de métiers. Ici, il sera question de ses activités autour du livre et notamment, la gestion des défraîchis.
Activités particulières dans la filière du livre : Clic logistique fait du stockage, du gardiennage, la logistique hors librairie et la rénovation. C’est une entreprise à mission qui a 15 ans. A la base, un.e logisticien.ne a vocation à « artificialiser des sols, fabriquer des boîtes à chaussures » et faire venir des camions pour répartir des colis en France, en Europe ou dans le monde. Sur le papier, ces activités n'ont pas grand chose de vertueuses et elles sont indispensables au fonctionnement de l'économie du livre notamment. Comparé à d’autres secteurs, celui de la logistique part avec un sac à dos écologique assez chargé. La notion d’éco-responsabilité est donc difficile à saisir.
Certaines enseignes de logistique, sous un couvert d’éco-responsabilité continuent d’artificialiser les sols en empêchant la culture sur ces dites terres. Prise de conscience chez Clic logistique, il est possible de faire mieux et de prendre cette question de la logistique sous un autre angle :
- Pas de réartificialisation de nouveaux sols mais réindustrialisation d’entrepôts existants, suppression de 90 % du plastique dans les entrepôts, travail pour rendre les serveurs moins énergivores. Qui dit logistique dit stockage de 30 millions d’articles, capacité d’ERP pour préparer et expédier les commandes : énergivore en terme de données et de système d’informations, quelle énergie est utilisée ?
- Sur la filière du livre : étonnement de voir des millions d’exemplaires partir directement « à la benne » (au pilon ndlr) et voir un retirage 6 mois plus tard de ces mêmes exemplaires arrivés à Clic logistique (fabriqués dans une imprimerie parfois ailleurs qu’en France).
- Travail avec l’École des loisirs pour éviter le pilon systématique et trouver un moyen de remettre à neuf les retours en les rénovant. Si pas de rénovation possible : seconde vie au travers des soldes, de dons (dans la limite du PUL)…
Deux chiffres : l'entreprise a démarré en sauvant 30000 bouquins.
En 2025 : l'objectif est de passer le cap des 1 millions de livres rénovés avec des grosses structures éditoriales.
Drame écologique et absurdité dans le fait de faire croire que les 20 % de livres détruits (chiffres pilon) allaient redevenir des livres, ils deviennent plutôt du papier toilette ou journal en général. Aujourd'hui, ce discours commence à changer.
La réparation, rénovation
ENVIE
Contexte : société de surproduction et surconsommation
Chiffres : 99 EEE (Équipement Électrique et Électronique) dans les foyers français. 2,34 millions de tonnes EEE mis sur le marché en France avec une collecte de 13 kg par habitant en moyenne. L'objectif de réemploi aujourd’hui en France est de 2 % et ils ne sont pas atteints.
Comment s’organisent la rénovation et la réparation ?
Les appareils sont récupérés dans le cadre du un pour un. Lors de l'achat d’un nouvel appareil, le distributeur a l’obligation de récupérer l’ancien, une partie revient à ENVIE qui vient les récupérer dans des centres et qui les rapatrie dans des ateliers de reconditionnement. Le reconditionnement : test de toutes les fonctionnalités, nettoyage (très chronophage) et changement des pièces d’usure avec une garantie de 2 ans. Une part faible est déposée par les particuliers qui peuvent venir directement dans les ateliers. ENVIE est plutôt spécialiste du gros électroménager : plus rentable (comparé au petit). Le modèle économique est le suivant ; 80 à 85 % de financement par les ventes.
Changement de mentalité qui s’est opéré ? Comment ENVIE a pu permettre ça (ou l’encourager) ?
Il y a une variation des comportements liés au reconditionné, surtout sur les smartphones. Pour ce qui est du gros électroménager, moins de 6 % est acheté en reconditionné. De plus, la crise économique fait que les consommateurices préfèrent se tourner vers du lowcost qui vient de Chine avec une grande baisse dans la vente d'équipement après Covid. C'est pour cela que le travail de pédagogie est important ; les appareils haute gamme reconditionnés sont plus qualitatif que le neuf lowcost. Sur la clientèle ENVIE, 95 % serait prête à racheter du reconditionné.
Clic logistique
Est-ce qu’on ne pourrait pas réparer tous ces livres finalement ?
Les livres pilonnés sont composés de livres (comme) neufs (sans une seule page écornée) et les défraîchis ( livres abîmés). Il n’existe pas aujourd’hui de chiffres sur ces derniers. Chez Clic logistique, les équipes travaillent sur cette question.
Comme dans l’électroménager, l’environnement de la filière du livre a énormément changé avec une baisse drastique des prix des produits électroniques qui sont parfois moins couteux que des livres. La bascule dans la filière est dû à l'augmentation du prix de la matière première (pâte à papier et papier), sa raréfaction et une complexité dans la transparence du traçage de l'origine du bois, une augmentation du prix du transport et de l'énergie pour la fabrication.
Comment s’organise la rénovation des livres et pourquoi ?
- Aujourd’hui, l’éco-responsabilité a une réalité économique (environ de 80 ct à 1,4€ pour le coût de fabrication d’un livre)
Faire rénover un livre va couter 50 ct, après cette rénovation, il redeviendra neuf avec un coût du transport (l'un des poste les plus important) déjà aspiré. L’éditeurice va alors regagner de la marge net qui ira direct dans le tiroir caisse. - Une économie fragile (inégalité dans le partage de la valeur), cette marge net pour l'éditeurice permettra de faire profiter tout l'écosystème
- Facilité à retourner le marché puisqu’il va dans le sens de la marche
- Le bouquin est le seul qui peut-être détruit sans que l’on s’en préoccupe réellement (exclus de la loi AGEC)
Le livre est un produit avec un fort capital symbolique, presque sacré. Toutefois, il est vite désacralisé lorsqu’on le voit dans son univers logistique ou en distribution, dans une situation de massification.
Freins à lever
Sur la rénovation des livres
- Retours représente 20 % de l’économie du livre, les 80 % autres se font sur la sortie du distributeur
- Logistique qui absorbe les 400 millions d'ouvrages par an : la valeur ajoutée se fait ici
- Si demain, on enlève les retours, toutes les facettes de cet écosystème s’écroulent et dysfonctionnent (même si le dysfonctionnement est déjà présent).
- Le.le logisticien.ne a aucun intérêt à ce que la surproduction s’arrête, il gagne à l’entrée et à la sortie
- Distributeurs sous pression à cause d’Amazon : accélération dans la gestion des commandes mais aucune réflexion sur les retours
- La rénovation est vue comme une réticence
- Exemple concret : une palette avec 600 livres de 10 titres avec des contrats distributeur différents qui arrive va entraîner la multiplication par 4 ou 5 du temps de manutention donc déraillement et explosion du système logistique
D'où l'importance de trouver un système mutualisé et de trouver un moyen d'ancrer le livre dans une logique d'économie circulaire.
Les opportunités
ENVIE
Pour aller plus loin, l'entreprise réfléchit au fait de privilégier l’usage plutôt que la propriété. L'économie d'usage passe par le fait de prendre soin des objets : 50 à 70 % des pannes gros électroménager sont dû à un défaut d’entretien. L’uilisateur.ice a sa part de responsabilité. La question du partage est centrale et fait gagner de la place. Pour le moment, ce marché existe seulement en B to B (business to business) pour certain.es acteur.ices qui veulent juste un service. Par exemple, à Strasbourg, ENVIE loue du matériel à des associations.
Le système de location est intéressant dans le secteur culturel en général et des partenariats multiples sont à imaginer.
Ouverture : Pour la rénovation de livres, fonctionnement par région avec groupement de maisons d’édition de la région ?
Clic logistique travaille avec tout type de taille de maisons d’édition, certaines ont parfois seulement deux palettes. Il n'existe pas de barrière liée au quantitatif. Toutefois, problématique de coût logistique, aujourd'hui, le coût unitaire du transport est à 6 ct (volonté d'arriver à 4ct), l'optimisation se trouve uniquement dans le quantitatif.
D’où l’intérêt pour mutualiser les forces de manutention de coopérer entre maisons d’un même secteur géographique ? Et de créer un système d'économie circulaire automatique comme sur le modèle de focntionnement d'ENVIE.
Temps de questions
- Pour Clic logistique : imaginer une pédagogie ? Auprès des maisons d’édition et/ou bibliothèques qui rénovent aussi des livres
- Rappel de la fiche de doctrine loi AGEC et livres du Ministère de la Culture
- Travailler sur la seconde vie des livres : le vrai sujet est la surproduction
- Don et RéemPAL : Faire en sorte que la distribution et les structures éditoriales puissent donner des livres à des associations. Le frein principal est la législation sur la vente des livres (article de Mobilis sur le sujet), la diffusion et la mise en correspondance qui peuvent-être faites. L'objectif est de faire du réemploi du livre sur différents types de livres.
- Concurrence de la Start-up nation – énormément abondé par l’État qui déstabilise le marché et qui opère à perte (puisque levée de fonds) : véritable crainte pour les associations en place depuis très longtemps, comme ENVIE.
Références citées pendant le webinaire :
Pour aller plus loin :
L’Association pour l’écologie du livre
Institut européen de l'économie de la fonctionnalité et des coopérations
Focus de Mobilis sur la loi du prix unique du livre