🚨 Culture en Crise 🚨

[Retour sur] #10 - Regards croisés n°1 : Agriculture et Livre, l'AMAP, un modèle de circuit-court pour le livre ?

Publié le 02/06/2025 par Mélanie Cronier
Catégorie

« Regards Croisés » est un cycle de webinaires qui a été créé et initié par Normandie Livre et Lecture (N2L), Auvergne-Rhône Alpes Livre et Lecture (AURALL), Mobilis et l’Association pour l’écologie du livre dans le cadre de la programmation commune « écologie du livre en régions ». Il s’agit d’un cycle de webinaires qui propose des temps sur le sujet d’écologie sous un prisme interprofessionnel et transversal, en partenariat avec les Structures Régionales du Livre et de la Lecture, la FILL – Fédération Interrégionale du livre et de la lecture, et l’Association pour l’écologie du livre. 

Cette idée est née de l'intérêt de croiser les regards entre secteurs économiques qui n'ont à priori rien à voir avec le livre mais qui constituent des sources inspirantes. Ici, il est question d’un zoom sur le modèle de l’AMAP avec Miramap et son inspiration concrète sur une initiative de la filière du livre et de la lecture : Adak.

Les questions inhérentes sont les suivantes : En quoi ces deux exemples peuvent s’inspirer mutuellement et être inspirant l’un pour l’autre. Est-il possible d’imaginer des ponts ? Comment passer de petites initiatives ancrées à un mouvement politique qui peut inverser le rapport de force ? 

 

Intervenant.es : 

Evelyne Boulongne, réseau inter-régional des AMAP (Miramap) 

Julien Misserey, L'Adak 

• Animation : Mélanie Mazan, Association pour l’écologie du livre et Mélanie Cronier, Mobilis

Un premier temps d’échanges et de discussions :

Cet espace d'échanges permet de faire des liens entre les enjeux du secteur agricole et ceux du livre, un espace de compréhension des modèles économiques issus du monde paysan, qui inspire et qui pourrait inspirer la filière du livre. Il s'agit ici d'un focus sur le modèle de l’AMAP (Association pour le maintien d'une agriculture paysanne) et celui du circuit-court en règle générale. 
Pour rappel, l'appellation AMAP est propre au monde agricole et paysan, ce terme ne peut être utilisé que dans ce cadre, c'est une marque qui est régit par une charte (voir ci-après)

 

Contexte et enjeux de création des AMAP

Questions à Evelyne de Miramap

En 1990, les agriculteurices se regroupent dans un climat de fort corporatisme, un seul syndicat unitaire émerge d'abord (ancêtre de la FNSEA). Plus tard, les divergences politiques sont trop importantes et beaucoup ne s'y retrouvent pas ; révolution verte, intégration d'une forte mécanisation et d'une profusion d'engrais chimiques. Un seul but émerge alors : faire du profit avec comme argument, celui de nourrir le monde. Dans le sillage de cette forte distorsion de réalité, la confédération paysanne est née.

Au delà de la naissance de la confédération paysanne, le modèle de l'AMAP s'inscrit dans le contexte d'une succession de crises alimentaires (et écologiques) liées à l'agriculture : vache folle, OGM, plateau du Larzac (conservation de terres agricoles)... Elle émane du réseau d’Attac (forte dimension ESS) et de la confédération paysanne avec de fortes valeurs communes : familiale, installation collective, agriculture à taille humaine avec un respect des humain.es et non humain.es, autonome et économe (sans endettement trop important)... Parallèlement, le mouvement de la slow food arrive : alimentation saine et lowtech. 

La toute première AMAP vient du Japon, elle a ensuite été repris par des européen.nes et états-unien.nes. Un paysan français revenu des Etats-Unis en parle en réunion – espace important de débats et de rassemblement, la première AMAP se crée en 2001 à Aubagne. Elle est à la jonction de plusieurs liens : système participatif de garantie de Nature et Progrès, de l’éducation populaire, de l’agriculture biologique… Du côté des paysan.nes, le besoin d'avoir une vision sur leurs revenus et leur trésorerie devient urgent. Et du côté des mangeur.euses (citoyen.nes), un besoin urgent se fait ressentir ; celui d'avoir une alimentation saine, régulière et de compréhension des enjeux de l'agriculture (paysanne). Au début des années 2000, les consommateur.ices (toujours aujourd'hui d'ailleurs) sont coupé.es du monde paysan et de sa réalité. A laquelle s'ajoute le très fort corporatisme et son opacité avec la FNESA comme syndicat majoritaire qui répond aux grands céréaliers, éleveurs sous un prisme agro-industriel. 

Dans ce climat, l'AMAP apparaît comme un contre-pouvoir, une manière de militer et de se réapproprier son alimentation. Les paysan.nes de la confédération paysanne ont repris le modèle dans d'autres régions, elle se crée dans les fermes et localement, elle sont toutes autonomes, elles gèrent leur propre groupe de citoyen.nes. L'idée est simple : les mangeur.euses achètent et mangent la production annuelle. L'automne est la période la plus propice, c'est le moment pour le.la paysan.ne d'organiser son calendrier de l'année, c'est une véritable garantie financière. Être paysan.ne en AMAP est un métier à part entière. 

Pour les bénéficiaires, c'est un engagement; ils comprennent ce qu'il y a dans le panier et participent aux aléas climatiques. Chaque semaine, un panier de légumes est récupéré en fonction de la saisonnalité et des aléas, il est composé de 6 à 8 variétés de légumes. Au-delà de l'aspect consommation, la récupération du panier est un moment de convivialité, de rencontre et aussi de solidarité ; aide dans les champs (récolte, réparation infrastructure...) si aléas climatiques et humains (arrêt maladie…). Le.la paysan.ne est un.e entrepreneur.euse qui créé quelque chose à pousse lente et sans avoir de vision climatique parfois.

L'esprit des AMAP est la suivante : 

  • Elles sont autonomes et doivent respecter la charte des amaps
  • Avec des principes fondamentaux : éthiques, sociaux et économiques
  • Encouragement des pratiques meilleures
  • Mouvement horizontal fédéré par Miramap qui lance des chantiers régionalisés et qui fait partie du MES (mouvement pour l'économie solidaire)
  • Inspiration des pratiques ESS : culture, artisanat, coopérative

 

Quelles inspirations concrètes pour la filières du livre dans le modèle de l'AMAP ? 

  • Prépaiement et sécurisation de la trésorerie pour les indépendant.es
  • Le non-choix et l'obligation de diversité (bibliodiversité)
  • Démarche écologique
  • Réseau de solidarité
  • Confiance et transparence
  • Relation directe consommateurice et producteurice : au-delà de la consommation

 

Une inspiration concrète dans la filière du livre 

Questions à Julien de l'Adak

L'Adak s'est inspiré du modèle des amaps : A quels enjeux du secteur du livre, l’esprit amap répond ? quels sont les ponts à imaginer ? 

Julien qui a créé la structure est un ancien libraire, il arrive avec une certaine connaissance des mondes du livre et de la lecture. Il fait le constat suivant : de plus en plus de choses déplaisantes dans le métier de libraire : "beaucoup de rouages de la grosse machine infernale échappent à cette profession". Son regard faisait qu’il ne se retrouvait plus dans le modèle de la librairie classique, ajouté à cela, une certaine forme de lassitude et un sentiment tenace d'inaction. 
Le modèle de l’AMAP a permis de réévaluer la manière dont il a procédé en tant que libraire. Il a entrepris une réflexion sur la façon d’envisager les rapports entre les maillons de cette chaîne (du livre). Son panier de livre lui permet de rencontrer différents métiers de cet écosystème et de comprendre les points de complexité. 

Il souligne particulièrement l'abbération des retours : ce flux incessant de cartons qui repart pour être souvent détruits (entre 1/3 et 1/4 des livres arrivés en librairie repartent). "Lorsque l’on est au courant, on peut difficilement fermer les yeux", un sentiment d'inutilité s'est alors emparé de lui. Cette initiative est née de la prise de conscience de l’inégalité dans le traitement de diffusion des petites maisons d’édition indépendantes, leur enfouissement dans la masse de livres et les relais d’auteurices peu visibles et visibilisés. 

Passé le constat des dysfonctionnements du milieu ajoutés aux intérêts positifs de ce modèle économique, il a créé l'Adak il y a 5 ans. Il a été pensé comme un espace à destination des créations « en marge ». L'aspect de solidarité et de non-choix sont aussi présents dans son modèle. Ici aussi la convivialité est de mise et elle permet d'avoir une meilleure connaissance du monde du livre. Ce modèle lui permet d'aller chercher une bibliodiversité et d'avoir le luxe d’aller chercher des livres dans une quantité ajustée et ainsi, d'éviter le gaspillage, un pilon potentiel (voir systématique). C'est un concept qui s'ajuste au fur et à mesure. 

L'Adak s'est inspiré du modèle de l'AMAP pour : 

  • Le pré-paiement qui permet une avance de trésorerie
  • Mise en avant - autant que possible des maisons d'édition qui ont démarche matérielle écologique
  • Meilleure information pour les lecteurices : transparence
  • Achat ferme avec les maisons d'édition : paiement direct et allégement direct de leurs stocks
  • Rapport de confiance avec les lecteurices afin de faire découvrir une bibliodiversité plus pointue et s’offrir une lucarne supplémentaire (pas le même rapport avec le public que lors de rencontres en librairie).

     

Quelles sont leurs perspectives ? 

L'AMAP et l'Adak sont deux initiatives actives sur les territoires avec l'idée de renverser le rapport de force et l'imaginaire dominant. 

L'AMAP existe depuis 25 ans, c'est un mouvement qui a pris de l’ampleur mais le rapport de force est toujours présent et les dernières actualités sont peu encourageantes. Il n'y a pas eu de renversement majeure même si l'essaimage du modèle a permis de gagner du terrain dans les imaginaires. De plus, il permet de vivre dans un monde qui n'est pas totalement soumis aux lois du marché et du capitalisme. L'investissement dans la lutte permet d'être heureux.se ensemble.

Toutefois, il y a une récupération politique qui s'opère (comme pour ce qui est de l'écologie du livre). Du côté de l’agriculture biologique, les achats et la demande diminuent. Les systèmes de circuit-court quant à eux fonctionnent très bien avec une meilleure prise de conscience de la nécessité de supprimer les intermédiaires pour une meilleure répartition de la valeur. Miramap s'inscrit - au sein du collectif Nourrir dans la rédaction d'un plaidoyer pour faire monter des projets de loi nécessaires à l'Assemblée Nationale. 

Evelyne souligne l'importance de "soutenir le mouvement, le réseau et continuer de rêver" et "de ne pas se contenter". Lorsqu'elle rentre dans une AMAP, les personnes ont comme première volonté de manger bio mais très vite, il est question de connaissances sur l'agriculture et du système économique globale. 

L'Adak de son côté est une "petite initiative dans la marée du livre" et une "expérimentation nécessaire" qui espère essaimer. La filière du livre dysfonctionne grandement, c'est pourquoi il est important de prendre ces coopérations en route. Il joue un rôle pour diffuser ce qu'on ne trouve pas ailleurs. 

 

Temps de questions
 

  • Point de vue d’une autrice : Adak ne travaille pas directement avec les auteurices, mais avec des petites structures éditoriales et indépendantes.
  • Pour une maison d'édition : Est-ce que dépendre uniquement de l’Adak serait possible ? Oui, si plusieurs antennes ailleurs mais juste une dans un lieu, ce n’est pas possible. D'où l'intérêt d'étendre cette initiative pour avoir plus de poids. L'Adak est basé à Besançon. Le modèle serait rémunérateur s'il y avait 2 ou 3 fois plus d’adhérent.es.
  • Lieux de diffusion : partenariat avec deux amaps (livres + légumes) et dans les Biocoop
  • Dimension local sans envoi de colis : lien direct avec les consommateurices
  • Bouche à oreilles a bien fonctionné, de plus en plus d’adhérent.es chaque année
  • Évitement des flux ? Travail avec des maisons d’édition uniquement en région Bourguogne Franche-Comté ? Non, ce ne serait pas suffisant, optimisation des flux en do-it yourself : déplacement en festivals ou divers évènements, principe de la punk poste...
  • Test de ce format en Provence-Alpes-Côte d'Azur ? Ce système avait été une source d’inspiration : Idée de travailler avec les association de librairies et d'éditions indépendantes régionales mais finalement non. Même si l’aspect relationnel, social est intéressant et va au-delà du simple fait de vendre des livres.
  • Quels sont les freins ou les conseils ? Nécessite du temps et accepter de ne pas être rentable dés le début (1 ou 2 ans). Se placer dans le panier des livres et pouvoir conseiller vers d’autres librairies pour créer encore plus de coopérations entre les différent.es professionnel.les du livre afin de s'incrire dans un paysage qui existe déjà et provoquer cette horizontalité. Il y a un intérêt de faire ça en interconnaissance, de prendre le temps de connaître et d’explorer d’autres secteurs.
  • Quel est le fonctionnement de l’Adak ? Tarif fixe des paniers ? Si demain, je veux mettre en place ce type d’initiative ?
    Modèle assez simple de l’Adak : choix entre un panier à 10, 20, 30 ou 40€. 
    Pas de mauvaise surprise : ouverture du champs avec d’autres personnes, dépassement de l’entre-soi... Sans les inconvénients d’une librairie

 

Conclusion : Evelyne aimerait que Julien soit dans son amap pour insérer un bouquin parmi les légumes, des aliments physiques → mix des légumes et livres  :) 

 

Références citées pendant le webinaire :

https://fill-livrelecture.org/les-webinaires-du-programme-lecologie-du-livre-en-regions/

http://ecologiedulivre.org/

https://miramap.org/

https://miramap.org/charte-des-amap/

http://confederationpaysanne.fr/

http://www.le-mes.org/

https://www.adak.fr/

https://guide.syndicat-librairie.fr/economie-et-gestion/les-retours-en-librairie

https://www.atheneelibertaire.net/wp-content/uploads/2024/04/carte-critique-edition-francaise-2024-BD.pdf

Rubrique écologie de Mobilis