Enseigner, transmettre, bouturer les jeunes pousses

Publié le 14/03/2017 par Estelle Labarthe
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Entretien avec Claudine Paque sur la formation aux métiers du livre ou comment préparer les jeunes à s’emparer de tous les «possibles» ?

 

Claudine Paque, professeur agrégée de lettres classique, a intégré le département « Information et communication » de l’Université de Nantes il y a 11 ans, après 20 ans d’enseignement en lycée et un passé de libraire ! Elle en est la directrice depuis 2015 et y assume la responsabilité de la Licence professionnelle « Édition multi-supports, orientation jeunesse ». Le département, installé à La Roche-sur-Yon, propose deux options : « Communication des organisations » et « Métiers du livre », sous la forme d’un DUT et de deux Licences pro.

Que doit contenir, selon vous, comme terreau l’enseignement que vous proposez aux jeunes pousses des métiers du livre ?

Nous cherchons à donner à la fois des repères culturels au élèves et des outils qui les préparent à l’environnement dans lequel ils exerceront leur métier.

Nous organisons la formation en proposant, de manière complémentaire, des enseignements traditionnels (sémiologie, théorie de la communication, sociologie, littérature, expression écrite et orale) et des enseignements, par filière (librairie, édition, médiathèque), plus orientés vers la pratique. Le travail en ateliers (web, PAO, audiovisuel, évènementiel) occupe une place très importante ; il se fait sous forme de «projets tutorés» qui donnent lieu à une première forme de «pratique professionnelle». Enfin, le stage de fin de DUT qui aboutit à un rapport dans lequel l’étudiant analyse le fonctionnement, les problématiques et les enjeux de la structure qui l’a accueilli.

De quels outils doit principalement disposer un étudiant aujourd’hui pour pouvoir  bien grandir dans les métiers du livre ?

Un axe majeur traverse la formation des étudiants, c’est le numérique. Olivier Ertzscheid, recruté comme moi il y a 11  ans, milite pour l’enseignement aux jeunes des nouveaux outils d’information et de communication et affirme que l’illettrisme de demain sera de ne pas savoir se servir de ces outils. 

Il nous semble essentiel, tout en continuant à donner des repères culturels importants (littérature, art contemporain, etc.), d’aborder le livre dans son environnement actuel.

Aujourd’hui, nous faisons donc des choix d’enseignement radicalement différents de ce qui se faisait il y a encore 5 ans. Pour ce qui est de la littérature contemporaine, par exemple, nous proposons 18 heures par semestre là où d’autres départements en proposent encore plus de 100 (et ces 18 heures sont également orientées vers les nouveaux usages de communication puisque les étudiants y rencontrent des auteurs et s’initient à l’écriture web) ! C’est un choix qui permet de donner de la place à d’autres enseignements, comme la culture numérique par exemple, qui sont des outils majeurs pour préparer les étudiants aux métiers du livre aujourd’hui.

Il est absolument nécessaire que les étudiants connaissent les usages liés à internet et aux nouvelles technologies, car la vie du livre se déroule aussi dans ce nouvel environnement. 

Le numérique, c’est la communication et les réseaux, mais aussi la prise en main de nouveaux outils qui bousculent et renouvellent les métiers du livre. Dans la licence «édition jeunesse», par exemple, les étudiants découvrent, les mains dans l’encre, les méthodes d’impression traditionnelles mais ils apprennent aussi la réalisation d’un livre intégralement en numérique. 

Pour nous, les choses ne s’opposent pas. Le numérique ouvre une nouvelle palette de possibles que les étudiants doivent maitriser pour être solides face aux mutations qui jalonneront leur futur métier.

Et les étudiants constatent bien, quand ils sont en stage, que les enjeux et les questionnements auxquels nous les préparons sont à l’oeuvre au quotidien sur le terrain. 

Cette préparation suffit-elle à la greffe de vos jeunes pousses dans l’univers professionnel ?

Pour qu’il y ait greffe, il faut de la transmission (des savoirs, des métiers, etc.). Notre formation favorise cela puisque nous confions aux professionnels (libraires, éditeurs, médiathécaires) les enseignements «métiers». Nous observons d’ailleurs que l’envie de transmettre est forte chez les professionnels, soit en intervenant dans la formation, soit en accueillant nos étudiants en stage. Leur motivation est à la fois de transmettre leur passion, leur expérience, leurs savoir-faire et d’avoir un regard extérieur et peut-être critique sur leur travail.

L’idéal pour que la greffe prenne, c’est la transmission via l’alternance. 

Les maisons d’édition ont besoin d’être sûres de qui elles embauchent et l’alternance leur donne le temps de connaitre et former les jeunes. 

Hélas, seuls trois ou quatre de nos étudiants de Licence parviennent à décrocher un contrat de professionnalisation. Les entreprises privilégient, en effet, les étudiants de Master pro, plus compétents, ou recherchent un contrat d’apprentissage, moins coûteux pour elles. Or, l’apprentissage n’existe pas dans les métiers du livre dans les niveaux Licence ou Master, il est traditionnellement réservé aux niveaux BTS, Bac Pro ou CAP. C’est dommage, c’est une non reconnaissance de la spécificité des métiers du livre qui ont besoin de l’apprentissage plus tard dans le cursus d’étude ; il faudrait pouvoir adapter. Je dialogue dans ce sens avec la Région et l’Université.

Notre axe de perfectionnement est donc bien là : développer des contrats d’alternance, au sein des structures des Pays de la Loire.

Pour le reste, je ne suis pas inquiète pour l’avenir du livre. De nombreuses personnes pleines des talents et d’idées créent ici de nouvelles librairies, de nouvelles maisons d’édition. Celles et ceux qui ont de l’avenir sont ceux qui continueront à faire des livres connectés avec la vie.

 

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