L'image éditée : quand les gens du livre sont des gens d'image

Publié le 21/12/2018 par Elisabeth Sourdillat
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Voyageant vers ceux qui en Pays de la Loire déclinent l’image autrement, lui faisant quitter le sentier du « livre illustré », nous avons rencontré des passionnés qui conjuguent et interrogent l'alliance du livre et de l'image. Daniel Bry en Mayenne transforme en livre des œuvres d’artistes et Jean-Michel Le Bohec en Vendée fait rentrer les images d'artistes dans le quotidien des lecteurs. Puis, décalant notre angle de vue, nous avons écouté Nathalie Le Berre questionner les pratiques éditoriales qui ont cours dans les arts visuels.

Daniel Bry réalise des ouvrages avec des artistes, leur donnant accès à la « diffusion par le livre ». Au com-mencement était l’estampe car, éditeur, il a été aussi galeriste et imprimait lui-même les « multiples » de certaines œuvres exposées. C’est pour répondre à la demande de livres, formulée par ses artistes, qu’il s’est lancé dans l’édition de livres d’art. Depuis son atelier, il transforme le livre en « lieu d’expression de l’image ». Dans sa démarche, les images, œuvres nées hors du livre, préexistent quand un projet d’édition voit le jour. Et elles n’entretiennent pas de lien obligé à un texte qu’elles viendraient illustrer.

Cela a plusieurs conséquences. Sur la sélec-tion des images, car ici les artistes décident du contenu de l’ouvrage, pas l’éditeur. Sur le for-mat des ouvrages, car formes et dimensions s’adaptent aux images et non l’inverse, Daniel Bry produisant uniquement des formats spéciaux. Sur les techniques d’impression (onze encres pigmentaires), et même sur la fabrication de l’objet (façonnage, boîtages ad hoc, « pas de broché relié traditionnel »). 

Cette approche est possible grâce à sa connaissance intime des techniques, des encres et du papier, par sa science des métiers de typographe, de graveur, d’imprimeur. Cela ne l’a pas empêché de croire au passage au numérique pour le livre d’artiste, une de ses singularités à l’entendre. Cela lui permet de gérer toutes les étapes, de la fabrication jusqu’à l’impression, avec un savoir-faire qui le mène à travailler pour d’autres éditeurs qui « ne savent pas faire ». 

Éditions Les Chatoyantes
Daniel Bry
53 270 Chammes 
editionschatoyantes@gmail.com 


Jean-Michel Le Bohec, responsable de l’artothèque de la bibliothèque de La Roche-sur-Yon, se passionne pour la gestion d’une collection d’images mêlant estampes et photographies. La médiathèque Benjamin-Rabier permet non seulement à ses usagers de voir ces œuvres, mais aussi de les manipuler et de les emporter à la maison.

« Faire vivre le fonds » est le mot d’ordre mis en œuvre dans un mouvement à la fois centripète, avec l’accueil sur place des particuliers, des écoles, des lycées, et centrifuge, car il faut « aller vers les gens », via des expositions pédagogiques qui circulent et le prêt des œuvres. En avoir une chez soi, c’est vivre avec elle dans la durée, la faire découvrir à encore plus de gens (la famille, les amis) et permettre de la voir différemment une fois sortie de son bac.

Cette démarche propose un rapport spécifique à la « belle image », dans lequel la mobilité est l’idée-force, une volonté inverse de celle portée par le musée ou le collectionneur ; à l'artothèque, on veut « faire circuler ». Le lien avec le monde du livre est double et nécessaire : nous sommes dans une médiathèque comme lieu du prêt, mais aussi comme service d’accompagnement. Jean-Michel Le Bohec évoque le « jeu de ping-pong » qui s’instaure avec l’artothèque à travers la sélection d’articles qui éclairent le travail de l’artiste, l’accès à des DVD, des livres d’art, des documents commandés par les bibliothécaires en réponse au fonds d’art.

Un ambitieux projet d’artothèque jeunesse vient de voir le jour. Certes, le fonds recelait déjà des pièces pour enfants (de plus petits formats, avec des cadres en couleur), mais les œuvres relevaient jusqu'alors surtout de l’art contemporain.

L’an dernier, l'estampe est venue enrichir l'offre faite au jeune public, avec une exposition de La Maison est en carton qui s’est accompagnée d’une vente d’estampes issues de livres à prix abordables (15 € environ). L’artothèque a ouvert début 2018, avec l’achat de 100 estampes d'illustrateurs jeunesse que les jeunes usagers peuvent emprunter en les choisissant en toute liberté, sans le patronage des adultes. Le jeu est constant entre images et livres car le fonds rassemble des images de création, et non des reprises d’album. Avec l'idée de former les plus jeunes à l’illustration jeunesse, les bibliothécaires proposent, au moment de l’emprunt d’un livre ou d’une image, un pont entre albums et œuvres. Gros succès : à l'artothèque ouverte en février, tout avait déjà été emprunté début mars.

Expositions de l'artothèque


De son côté, le pôle Arts visuels des Pays de la Loire, via son collège Édition, mène une réflexion sur les enjeux bien spécifiques de la publication d’ouvrages par les lieux d’art. Nathalie Le Berre, secrétaire générale, insiste sur la nécessité de rendre visible – et disponible – ce précieux travail d’édition au service des arts visuels. Un inventaire est en cours car cette production a pour caractéristique d’être à la fois très fournie et peu visible. Libres et très créatifs dans leurs formes, beaucoup de supports, éphémères, ne sont que très peu vus. Il n’existe pas non plus de typologie des prix : certains sont gratuits, d’autres payants, d’autres l’ont été mais ne le sont plus…

Si certains lieux d’art ont des pratiques éditoriales connues que l’on peut repérer (centres d’art, Frac, musées), cela est moins évident pour les collectifs, galeries, ateliers et écoles d’art. Et pourtant leurs publications à tous, catalogues, affiches, journaux d’exposition ou autres formes éditoriales, sont essentielles dans le parcours de l'artiste. Notamment, la monographie produite par un Frac pour accompagner l’exposition d’un artiste constitue une pièce majeure pour son rayonnement.

Autre singularité, on constate l’absence historique de savoir-faire des lieux d’art sur la diffusion et la distribution. Parfois, la vente sur place est même impossible, y compris pour un musée, parce qu’il n’y a tout simplement pas de « régie de caisse », faute de moyens ! La diffusion sur place s’en trouve « coupée net ». Il y a là des compétences à aller chercher auprès des gens du livre. Ces constats nous parlent d’un lien nécessaire entre l’édition liée aux arts visuels et les métiers du livre, une « porosité à inventer dans la région entre la filière Arts et la filières Livres », sourit Nathalie Le Berre.

Site internet du Pôle arts visuels


Une image vaut mille mots, et on écrirait certainement mille pages à ce propos. Ces trois rencontres permettent de se souvenir que l'image est bien un médium à part entière. La valorisation de l'image demande à la fois expertise, savoir-faire et médiation.