Le livre pauvre entre l’Alpha et l’Omega : Une lecture de l’Apocalypse, par Daniel Leuwers

Publié le 09/12/2016 par Élisabeth Sourdillat
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Qu’est-ce un “livre pauvre” ? Le riche et émouvant catalogue publié à l’occasion d’une belle exposition à la Médiathèque Toussaint d’Angers en donne la réponse.

Voilà un catalogue de belle facture qui nous restitue la flamboyance et l’inventivité d’une collection de 96 “livres pauvres” à l’occasion de leur donation à la Médiathèque Toussaint d’Angers, où elle rejoindra le fond d’ouvrages sur le thème de l’Apocalypse après une exposition qui dure jusqu’au 14 janvier 2017.

Attention, ami lecteur, le “livre pauvre” n’a rien d’un pauvre livre. “Il ne s’agit pas précisément d’un livre et il n’a rien de pauvre”, explique Daniel Leuwers, le donateur ainsi que l’auteur du catalogue, dans son texte de présentation où l’on sent un recul de bon aloi sur le sujet. Il est notamment l’initiateur du concept du livre pauvre et l’auteur des Très riches heures du livre pauvre (Gallimard, 2011).

La recette du livre pauvre, livre d’artiste d’un genre récent, sonne comme un jeu, avec des règles précises et surtout, surtout, dans ce monde de l’art parfois si sérieux, une invitation à les transgresser.

Recette du livre pauvre :

1) On partira d’un simple feuillet, qui sera plié.

2) Ensuite, on prendra deux artistes. D’abord un écrivain ou un poète, qui en écriture manuscrite y posera son texte comme il l’entend.

3) Alors, un second artiste, peintre, photographe, plasticien, interviendra en toute complicité.

4) Leurs interventions conjointes couvriront toutes les faces de la feuille ainsi devenue livre.

5) Leurs gestes seront recommencés quatre fois, produisant quatre exemplaires, dont aucun ne sera dès lors vraiment identique aux autres.

6) Ledit livre se devra de rester hors commerce. 

7) Il se passera d’éditeur, de libraire, de diffuseur, d’imprimeur.

Cette recette à de quoi rendre dubitatif, et on a un peu hésité à aller la regarder appliquée à une collection lancée par la Médiathèque d’Angers en 2014 sur le thème de l’Apocalypse (la tenture du Château d’Angers est voisine). Or, elle produit un étonnement joyeux : lorsqu’il n’y a aucune finalité autre que la beauté, et qu’on a la liberté de tout, on voit les artistes se donner à fond. Ce catalogue est émouvant, et révèle une profonde réflexion de la part des artistes et leur forte complicité, peut-être induite par la “pauvreté” du support. De grands noms (Fernando Arrabal, Pierre Bergounioux, Michel Butor, Michel Deguy, Jude Stéfan, Jean-Pierre Verheggen, Gérard Titus-Carmel, Claude Viallat, Geneviève Besse) ont joué le jeu à côté d’artistes ou de poètes moins connus, déclinant les règles, s’en jouant ou s’en éloignant. Plusieurs poètes et artistes de la région des Pays de la Loire ont participé au projet.

On en ressort en ayant compris que le livre pauvre, c’est du sérieux, malgré son nom qui sent l’oxymore, à la manière de l’Arte Povera, si riche dans son dépouillement. Et il plaira aux vrais amateurs de livre, voire aux bibliophiles.

La qualité de ce catalogue, outre de documenter leur existence, est de donner à voir et presque à sentir quel objet sensible est ce “livre pauvre”.

Pour finir, en ces temps passionnants où le livre numérique perd son corps, où l’on retourne vers la substance du texte, du contenu, le “livre pauvre” vient à son tour convoquer ce sous-texte indispensable : qu’est-ce qu’un livre? et à nous interroger sur l’essence du livre.

Le livre pauvre entre l’Alpha et l’Omega  : Une lecture de l’Apocalypse, par Daniel Leuwers, Éditions Ville d’Angers, introduction par Marc-Édouard Gautier, 123 pp.,18€, ISBN: 978-2-85575-101-6.