Sorj Chalandon et la Mayenne : une promesse bien tenue

Publié le 19/06/2015 par Jean-Luc Jaunet

Lorsqu’on interroge Sorj Chalandon sur le cadre de son roman, Une promesse, c’est tout son attachement existentiel à la Mayenne qu’il exprime.

Sorj Chalandon et la Mayenne : une promesse bien tenue



Il le fait avec force et poésie : "j’y ai mes habitudes et mes rêveries". Pour ce livre, un lieu s’est imposé ; il fallait un petit village du nord Mayenne, proche d’une forêt, ouvert sur de grands ciels mouillés et venteux, habité par des gens simples, rugueux : "Je tenais à cette ruralité, à ce ciel d’ouest, à cette rudesse. Je voulais écrire la fraternité. J’ai décidé qu’elle aurait la couleur de cette terre".

Cette histoire émouvante d’amour et  d’amitié, de cercle des amis disparus, qui tresse sans cesse les  fils de vie et de mort, exigeait en effet ce décor âpre, où l’impétuosité des pluies et des vents vient buter sur les vieilles bâtisses, où les personnages aux semelles de boue "sont modelés dans cette glaise, cette brume de petit matin".

Mais cette Mayenne des petits bourgs et des champs, qui semble illustrer à elle seule le mot ruralité, a aussi pour Sorj Chalandon un puissant charme, au sens magique du terme. C’est une "terre hantée et lourde" qu’on sent habitée encore de présences anciennes, où, dans certaine forêt, "il y a des pierres druidiques", des "dalles romaines [… ] sous les feuilles mortes". Comment dès lors imaginer autre lieu pour ce roman, "ce conte", dit l’auteur, "qui a l’âme pour personnage central", où sept amis (sept, comme dans les légendes) font serment d’entretenir la vie, jour et nuit, dans la grande maison de Fauvette et Etienne, leurs chers disparus, façon de tenir la mort en lisière, de tromper la lampe-veilleuse qui n’attend qu’un jour et une nuit pour s’approprier les âmes des défunts.

Il y a là comme un fond de légende celtique, un peu de matière de Bretagne, et la Mayenne, dans le livre, a beaucoup en partage avec l’Armorique, son ciel d’ouest, le souffle du vent, la pluie. C’est une contrée, toutefois, qui a su faire barrage aux chevaux de l’Ankou, le Charretier de la mort bretonne ; installée sur les marges de la Bretagne, si proche d’elle, elle n’a pas fait siennes ses terribles légendes nocturnes qui battent sans cesse le rappel de la Mort. Si les personnages, en souvenir du père péri en mer et de la terre d’enfance, continuent d’y semer les petits cailloux de leur bretonnité ─ la maison de la promesse rebaptisée Ker Ael par Etienne ; les affiches de Bretagne punaisées dans le bistrot du cadet ─, cette région de Mayenne est avant tout présentée comme une terre d’accueil où les vagues des labours, la houle des forêts font oublier les lames meurtrières de l’océan.

Le village évoqué par Sorj Chalandon n’existe pas ; il est, dit-il, "tissé de lambeaux d’autres lieux", mais des lecteurs mayennais lui ont avoué "qu’ils avaient reconnu leur bourg". C’est dire combien l’auteur a su embrasser l’âme de cette contrée, si propre à accueillir l’émouvant pacte d’amitié qui fonde le livre.

"Je n’imaginais pas cette promesse sous le soleil des grillons, barbouillée d’huile d’olive. Cette cérémonie celtique a pris ses aises dans une région qui lui ressemble".

Une promesse, Editions Grasset & Fasquelle, 2006, ISBN : 978-2-253-12114-5 – 1ère publication LGF

(Toutes les citations entre guillemets reprennent les propos de Sorj Chalandon, dans l’interview par courriel réalisée au mois d’avril 2015.)