Thierry Guidet, dans la compagnie des livres

Publié le 31/01/2017 par Alain Girard-Daudon
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La brume achève de se lever sur la vallée de l'Erdre. Ce matin de novembre, Thierry Guidet me reçoit au coin du feu parmi ses livres.  Dans sa jolie maison presque toutes les pièces ont leur bibliothèque. Chacune correspond à un intérêt du grand lecteur qu'il est. Ses études de philosophie lui ont donné le goût des disciplines multiples.

Dans une pièce se trouvent les livres d'Histoire, dans une autre, ceux de Philosophie, classés par grandes périodes. Ici, la Région, là, la Religion. Ailleurs, les Voyages, les Arts. Toutes les fictions occupent plusieurs meubles dans deux pièces, et sont interclassées sans distinction de genre, ni de collection. Les Pléiade côtoient les éditions de poche, les romanciers du XIXème voisinent avec les auteurs de romans noirs. Thierry Guidet n'a pas le souci fétichiste des bibliophiles. C'est le contenu qui importe. Enfin une importante bibliothèque vouée aux essais politiques, à l'actualité, vient nous rappeler que nous sommes chez un journaliste.

Il y a ici environ dix mille livres. Chacun correspond à un moment précis de la vie, à une recherche, à une histoire. Pour cela, Thierry les conserve tous, ne cherche jamais à se débarrasser d'aucun.
« Ma bibliothèque ressemble à une mine à ciel ouvert où je discerne les couches géologiques de ma vie » a-t-il écrit. Ses multiples curiosités aussi. Sur une table basse est ouvert le livre d'entretiens de François Hollande, sur le bureau l'attend pour relecture La peur en occident de Jean Delumeau, ainsi que le beau roman turc Encore de Hakan Günday. « Je lis de manière désordonnée » dit-il. Mais avec quelle attention, quelle gourmandise, ajouterais-je.

S'il est un grand lecteur, c'est aussi parce qu'il a souvent lu par nécessité, obligation professionnelle. Il peut aujourd'hui privilégier son bon plaisir. Ce plaisir découvert dans l 'enfance avec Dumas et Jules Verne. Il relisait encore il y a peu Michel Strogoff. Peut-être est-ce au « Jardin des lettres » qu'a commencé ce goût jamais démenti pour la lecture. C'est ainsi que s'appelait son manuel de français au collège.

C'est dans le Finistère qu'il commence sa carrière. Il y restera une dizaine d’années.  La vie littéraire y est active. Il découvre Perros, Grall, Le Guillou, Michel Le Bris entre autres. À la librairie L'herbe rouge à Morlaix, il achète Le Guet, de Jean-Pierre Abraham, paru chez Gallimard. Une révélation. «  J'ai fait sa connaissance et nous sommes devenus amis. C'est un bel écrivain trop peu connu. Il a un regard aigu sur les choses et les gens, c'est un guetteur, un solitaire. C'est ce que nous dit son expérience de gardien de phare relatée dans Armen... » Son côté monacal n'est pas pour déplaire à Thierry Guidet qui est un lecteur régulier de la Bible et que le fait religieux passionne. Il aime que la littérature ait « de la chair », qu'elle questionne le monde, tente d'en dévoiler le mystère. C'est ce que font les très grands livres : Robinson Crusoe, par exemple. Ou ce Léopard des neiges de Peter Matthiessen, qu'il a si souvent offert, qui est autant récit d'aventures et de voyage que quête mystique, tout comme Moby Dick.

Une littérature qui ne donne, ni ne dit rien, qui serait purement formelle, autoréférentielle, n'intéresse pas notre hôte. Il se montre critique avec certains romans contemporains qu'il considère comme de simples exercices de style un peu vains. Il aime que le roman nous raconte l'aujourd'hui,  ou bien le monde d'hier. Ainsi relisant récemment Illusions perdues de Balzac, retrouve-t-il l'univers du journalisme sous la Restauration. Il constate, sans le déplorer, que nombre d'écrivains contemporains ont renoncé au roman, lui préférant le récit historique ou biographique. C'est le cas d'Emmanuel Carrère, ou de Patrick Deville qu'il apprécie.

Et si c'était dans le polar que se réfugiait le roman pur, la fiction totale qui saisit le lecteur ? Thierry Guidet en a lui-même écrit de fort habiles et reste très amateur. Il me cite Montalban, Le Carré, Simenon. Curieusement, ce n'est pas le plaisir du suspense qu'il retient (« L'intrigue finalement est très secondaire »), mais le dépaysement (« les polars sont des récits de voyage »). Et parce qu'ils sont traversés par les questions de faute et de rédemption, il en goûte la dimension métaphysique.

Comme vient le temps de nous quitter, il me confie son beau souci du moment. Partant pour un mois en Thaïlande, il se demande quel livre emporter. Les voyages sont un moment privilégié pour la lecture. Il se souvient de cette nuit passée à l'aéroport de Ndjamena à attendre un avion en retard avec les œuvres de Pascal en Pléiade. Pour l’Extrême-Orient, les œuvres du Cardinal de Retz feront-elles l'affaire ? À moins que la relecture de Claudel ou Malraux ne convienne mieux.

Le temps et l'espace nous manquent pour évoquer tout ce qui s'est dit ce matin d'automne dans la compagnie des livres: son goût des haïkus, son plaisir de lire Quignard, son attachement à Paul Ricoeur. Il ne s'agissait pas d'épuiser le sujet qui d'ailleurs n'est pas épuisable. Il est ici question de désir jamais comblé, de curiosité toujours renouvelée. Écoutons encore ce qu'écrivait Thierry : « La bibliothèque est croyance dans le passé ... espérance du passé comme vérité du présent, charité de l'avenir. La bibliothèque est un instant infiniment dilaté. »

 

Thierry Guidet

Journaliste, il a fait une grande partie de sa carrière à Ouest-France, en Bretagne et à Nantes. Il a collaboré à la revue Armen et enseigné pendant sept ans à l'École supérieure de journalisme de Lille. Il a fondé en 2007, la revue Place Publique et est l'auteur d'une douzaine de livres, romans, récits de voyage, essais historiques et politiques.