Le financement participatif, poule aux oeufs d'or ?

Publié le 14/03/2017 par Elisabeth Sourdillat
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Vous vous êtes forcément trouvé récemment, à diverses reprises, sollicité via internet pour déposer une somme d’argent sur des sites comme Ulule ou KisskissBankBank. En décidant de soutenir le lancement d’une librairie en bord de Loire ou la publication d’un album de bande dessinée par un auteur mayennais, tel Monsieur Jourdain vous êtes devenu, sans vous en douter, un acteur de l’économie collaborative via le « financement participatif ». 

L’offre prend les proportions d’un phénomène de société, et rares sont les voix à s’élever contre ce procédé. Pourtant les chiffres restent confidentiels et les études bien rares. Tentative d’état des lieux.

Les acteurs : vue de profils

Le donateur se trouve être à la fois consommateur et levier du bien financé, jouant le rôle d’agent auprès de ses propres contacts. Ses motivations sont souvent multiples, et relèvent notamment d'un intérêt certain pour l’innovation. Il a aussi une empathie avec les valeurs des porteurs de projet, voire un plaisir « vertueux » à contribuer au succès de ces initiatives. Se sentir mécène pour quelques euros n'est pas désagréable… 

Du côté du porteur de projet, vive la viralité ! Le succès repose sur la création d'une  communauté conquise dans la vraie vie et via les réseaux sociaux. En Pays de la Loire comme ailleurs le crowdfunding (financement par la foule) est utilisé pour une variété incroyable de projets, du premier roman en passant par le livre électronique éducatif, le livre d’art et la BD, les maisons d’édition, des salons ou des librairies... 

Les projets financés

Dans le monde du livre, on peut distinguer deux types d’initiatives majoritaires : soit pour de l'entrepreneuriat (structures ou événements) soit pour des projets éditoriaux identifiés. Prenons l’exemple des librairies, qui constituent le noyau dur des projets : les internautes se voient sollicités tantôt pour le lancement de l'activité, tantôt pour la soutenir à un moment délicat où un défaut de trésorerie ponctuel met en péril la structure. Cela a été le cas de La très petite librairie à Clisson (aujourd'hui nommée le Vers libre) qui en 2014 a explosé son objectif à atteindre, le dépassant de 237 %. Résultat : 23 755 € collectés. De son côté, Le Renard qui lit, à Chalonnes, a ouvert grâce au soutien de 600 internautes, tous des « gens du coin », qui a été un levier déterminant pour conforter l’appui des banques et les subventions.

En terme de projet ponctuel, on peut aussi évoquer l'exemple de Katarakt !, album de bande dessinée édité en 2014 par l'association nantaise L'Encre blanche. En cinq jours, le projet avait recueilli les 5 500 euros nécessaires à l’impression et a finalement continué sa campagne pour la préparation d’un second album (toujours en suspens).

Financer par la foule, tout un art

La réussite n’a pourtant rien de magique. Porter un projet est très chronophage : il faut apprendre à le « vendre », travailler sa communication en cercles successifs, anticiper l'intégralité du déroulé de la création à la livraison des contreparties. Dans le cas d’un livre par exemple, fabrication, diffusion et distribution sont des étapes particulièrement techniques et le risque est grand de se retrouver avec son ouvrage « sur les bras » sans pouvoir faire face à la phase de commercialisation si on ne l'a pas anticipée.

On peut aussi s’inquiéter d’un effet « miroir aux alouettes ». On manque d’informations pour vérifier la tenue globale des initiatives sur le long terme ou pour analyser l'impact d'un échec : chez Ulule, 35% d'initiatives achoppent, et les porteurs tout près du but en fin de campagne sont encouragés à procéder à un apport en fonds propres, afin que le travail accompli en terme de communication ne soit pas pure perte... 

Pour se préparer et mettre toutes les chances de son côté, il existe maintenant des formations proposées par le Fonds régional d'aide au conseil artisanat-commerce des Pays de La Loire ou par les plateformes elles-mêmes : les porteurs de projets peuvent suivre en présentiel ou en ligne des cycles pour débutants ou des formations spécialisées sur certaines thématiques (musique, mode, jeu de rôle...). Pour les experts qui voudraient se professionnaliser et valider leurs acquis, il existe même des sessions de certification.

 

Au fond, le financement participatif constitue une version new look de la souscription, cette invention du XVIIIème siècle. Ce mécanisme de pré-financement assaisonné à la sauce internet permet, nous l'avons vu, de constituer une communauté d'intérêt et de faire levier pour développer un projet, convaincre les banques et faciliter le recours aux subventions. 

Le développement du financement participatif repose aussi sur l'encouragement des dons et du mécénat par les mesures de défiscalisation proposées par l'État (loi de juillet 2014 sur l'économie sociale et solidaire) qui trouve ainsi un moyen intéressant de compenser la contraction des financements publics en s'appuyant sur la tradition très française de l'engagement.

 


Le financement participatif... L'avis de quelques pros

« Peut-être », selon Clément Le Priol, éditeur chez Les Bookonautes qui a choisi de ne pas avoir recours au crowdfunding pour le lancement de cette maison d’édition numérique implantée à Nantes. « Trop chronophage pour un résultat incertain. De plus la rentabilité est assez basse une fois réglés la commission de la plateforme et le coût des contreparties ». Et dans ce cas d'édition 100% numérique, restait une difficulté majeure : imaginer quelles contreparties « physiques » offrir aux contributeurs. Mais Les Bookonautes n’excluent pas d'y recourir pour des projets plus identifiables, comme par exemple la publication d’un recueil de nouvelles : en ce cas « le financement participatif en lui-même devient aussi support de communication ».

Marie Montailler-Voisin, libraire à Chalonnes (Le Renard qui lit) défend le financement participatif sans lequel elle n’aurait pas rassemblé sa mise de fond initiale pour convaincre son banquier. L’engagement humain a aussi été essentiel : elle a collecté plus que la somme demandée (12 000 € en 6 semaines pour 10 000 € demandés) auprès de contributeurs qui constituent autant de contacts pour l'avenir du projet : certains lui ont fait des offres de collaborations et d’activités, voyant aussi leur intérêt à long terme dans la création de ce commerce de proximité. 

Plus nuancée, la libraire angevine Thi-Anne Nguyen (Au repaire des héros) exprime son inquiétude sur ce procédé quand il sert de dernier recours. Solliciter le réseau et le substituer à une banque revient à se passer de la vision à long terme d’un professionnel connaissant le marché et les mécanismes économiques. Or une librairie reste avant tout un commerce qui doit respecter les règles du jeu de l’entreprenariat et de la prise de risque qui va avec. Selon elle, ce sont d’abord des financements spécifiques qu'il faut solliciter : l’IFCIC par exemple, ou encore le CNL...