Sandrine Roudaut, semeuse d’autres possibles

Publié le 02/03/2018 par Patrice Lumeau
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Rencontre avec Sandrine Roudaut, co-fondatrice des éditions La mer salée.

« Notre maison d’édition tente d’être la plus locale et la plus écologique possible. Les créations, mises en pages sont toutes réalisées à moins de 5 km de Nantes [...] en achetant l’un de nos ouvrages vous contribuez à la reforestation de la région d’Alto Huayabamba ». 
Dès sa page d’accueil. La mer salée le revendique haut et fort : la maison d'édition, née en 2013, a une volonté forte d'éditer autrement.

L'entreprise se veut partie prenante du développement soutenable, et non durable. Sandrine Roudaut insiste. « Durable » entretient l’idée d’un modèle qui peut durer, alors qu’il est « insoutenable ». Venant du monde de la com', elle n’a  pas oublié que  « communiquer c’est rendre commun ». Elle attache une attention toute particulière au mot. Cette femme œuvre pour un monde soutenable et désirable, notion qui induit des changements sur un futur viable et non hypothéqué. L’idée phare est de faire pédagogie, de vulgariser, transmettre ces idées pour un autre monde en touchant chacun, citoyen ou entrepreneur. Car cet autre monde possible, c’est à chacun d'entre nous de le construire.

Les éditions de La mer salée sont nées du désir d’écrire et de produire des livres cohérents avec cette vision d’un monde plus humain, en lien plus étroit avec les auteurs et les lecteurs. Ils sont donc réalisés dans le respect de l’environnement et des idéaux qu’ils défendent. Être en adéquation avec soi, ses valeurs, Sandrine Roudaut s’y engage avec ses auteurs. Pour Les dessous de l’alimentation bio, Claude Gruffat, président de Biocoop, s’interroge sur se nourrir demain et est interrogé. L’auteur a joué le jeu de la confrontation avec un panel d’internautes pour étayer son livre. 

Fidèle à son éthique, La mer salée a récemment fait le choix délicat de refuser un auteur très connu qui aurait pu booster les ventes, mais dont les propos trop cyniques ne correspondent pas à la ligne éditoriale de la maison. 

L’éditrice et auteure défend une vision positive, s’oppose au militantisme sacrificiel, qui lui rappelle l’univers militaire. On n’écrit pas sur la désobéissance sans garder une défiance particulière envers l’autorité. « Sans désobéissance il n’y a pas d’utopies réalisées ». Et de nous rappeler que les évidences d’aujourd’hui étaient les utopies d’hier : ségrégation raciale, droit de vote des femmes...

Ni  bisounours, ni djihâdiste vert

En fondant La mer salée, Sandrine Roudaut et Yannick Roudaut vont au-delà du clin d’œil à Corto Maltese, « un esprit indépendant qui représente une réponse au tragique du monde, un guide vers l’inconnu ». Corto, symbole du libertaire, s’élève contre la colonisation des idées. C’est celui qui donne envie de voyager, d’explorer d’autres horizons. Voilà l’héritage revendiqué par Sandrine Roudaut. « Immédiatement on est catalogué, rangé dans des tiroirs sans doute pour vite nous enfermer et nous oublier. Nous ne sommes ni des bisounours ni des djihâdiste verts ». Les freins aux changements sont multiples. Cependant, il faut faire confiance à l’intelligence et au bon sens. À trop vouloir convaincre on accule les gens. La mission de Sandrine Roudaut est claire : donner envie, enchanter le monde, « décoloniser nos imaginaires. » 

Ce programme, elle le résume dans la définition de son métier : chercheuse et semeuse d’utopies. L’objectif est rien de moins que concilier économie et écologie, le tout avec humanisme. Outre son métier d’éditrice et d’auteure, elle donne des conférences pour inspirer et inviter les femmes, les hommes, les entreprises à bâtir un autre futur. Cette prise de conscience de faire autrement s’est affirmée en 2012 devant les évidences soulignées par ses enfants. Quand la pollution de l’air interdit l’accès à l’école, quand un candidat à l’élection présidentielle promet une fois de plus un toit pour tous ! Un déclic pour un combat. Avec Sandrine Roudaut on peut citer Théodore Monod, « l’utopie n’est pas l’irréalisable mais l’irréalisé. »

Pour cette chercheuse insatiable, inventer et désobéir passe par le retour à la confiance en soi. L’énergie pour enchanter ce monde, Sandrine Roudaut la possède. La mer salée n’en est que la face émergée. Dans son dernier livre, Les suspendu(e)s, l’auteure et éditrice prend ouvertement position pour « la pleine présence »  à ce monde... et aux chemins à ouvrir.