Pas de pilon pour les livres chez les éditions MeMo

Publié le 19/08/2022 par Timothée Demeillers
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Dans un ancien atelier du quartier des Olivettes, Christine Morault nous reçoit. Cofondatrice, avec Yves Mestrallet, de MeMo (« Me » pour Mestrallet et « Mo » pour Morault), une maison d’édition de livres illustrés pour la jeunesse, elle publie une trentaine de livres par an et apporte un soin tout particulier au papier, à l’image, aux couleurs, à la fabrication du livre et à son espérance de vie aussi. Elle lutte depuis la création de sa maison d’édition contre le pilon des livres et l’immense gâchis de papier et de travail qu’il représente.

Affirmer que MeMo est une entreprise pionnière dans la politique anti-pilon, ça vous fait réagir ?

Pionnière, c’est un bien grand mot… Avant toute chose je voudrais préciser qu’il n’existe pas de solution simple à ce problème. Je n’aimerais surtout pas que l’on croie que j’ai trouvé la clé à cette question ou que je m’érige en donneuse de leçons. Notre politique de non-pilon est une aberration en terme de gestion, extrêmement couteuse pour une petite structure comme la nôtre. 

En quoi consiste alors votre politique anti-pilon ?

Chez MeMo pas un seul livre n’est pilonné. Nous envisageons de faire vivre des livres sur le temps long et essayons de maintenir en vie tout le catalogue. Cela suppose d’avoir une relation sur le long terme avec ses auteurs, puisque la sortie d’un nouveau livre permet de réimprimer les anciens. Cela signifie aussi « jongler » entre les réimpressions, ce qui est un vrai sport de combat. Il faut trouver le bon calendrier, la bonne durée, ne pas réimprimer trop vite, ni laisser les titres épuisés trop longtemps, pour que les libraires ne les oublient pas. Quoi qu’il en soit, cette politique implique des coûts considérables pour le stockage !

Pour ce qui est des « défectueux », - même si je n’aime pas trop ce mot -, c’est-à-dire des livres retournés parce qu’abîmés, nous faisons des dons, - de milliers de livres. Nous travaillons principalement avec une ONG, Biblionef, mais aussi en lien avec le quartier de Malakoff à Nantes, ainsi que des classes d’éducation prioritaire, des bibliothèques, des espaces de lecture, des associations d’aide aux migrants, ATD quart-monde, le Secours populaire, etc.  

Comment avez-vous pris conscience de tout cela ?

C’était en 2006, lorsque nous sommes entrés chez le distributeur Harmonia Mundi et que nous avons reçu les premiers retours. Un carton entier de livres jugés « défectueux » qui nous paraissaient encore en très bon état. Nous ne voulions surtout pas les détruire. Nous les aimions trop et y avions apporté trop de soin.

(Christine Morault se saisit de quelques livres et nous montre les détails, parfois infimes, pour lesquels un livre est retourné.)

Il faut bien s’imaginer qu’il y a jusqu’à 20 % de la production de l’édition jeunesse qui est jetée ou détruite ! Mais je ne cherche pas à jeter la pierre aux libraires ou aux clients. Si vous-même aviez le choix entre un livre intact et un autre abîmé – même légèrement –, tout le monde prendrait le premier.

Comment en est-on arrivé là ?

Ce qui fait la particularité du livre et du métier de libraire : c’est l’immense diversité de son offre. Un libraire peut avoir jusqu’à 10 000 références. C’est énorme ! Particulièrement si l’on compare cela avec des commerces de prêt-à-porter par exemple, qui n’ont que quelques dizaines de modèles et une poignée de tailles. Alors, pour que les libraires puissent offrir autant de titres, il faut qu’ils puissent exercer leur faculté de retour. Sans celle-ci, ce serait la fin de cette incroyable diversité. Le fonds d’un libraire ne serait vraisemblablement composé que de livres qui se vendent vite. Cependant, ces retours, - par ce qu’ils génèrent comme manipulations, cartons et transport -, ont conduit à un taux de défectuosité qui ne serait pas acceptable s’il s’agissait d’électro-ménager par exemple.

En outre, l’édition comporte une grande part d’inconnu et d’imprédictibilité, ce qui fait la difficulté du métier. On fait parfois des paris un peu fous sur certains titres, où l’on confond notre passion du livre avec celle du public. Il y a des livres dont on est sûrs qu’ils seront de grands succès et dont les ventes nous déçoivent.

Qu’est-ce qui a dérapé alors ?

C’est la question. Tout le monde semble admettre que pour que le système reste vivant, il faut qu’il y ait des morts, que l’éditeur mange ses propres enfants. Et quant aux responsabilités, on se renvoie la balle. On entend que les éditeurs devraient publier moins. D’accord, mais moins de combien ? Peut-être faudrait-il réfléchir à une meilleure gestion dans le transport, notamment dans les retours de librairie. Il devrait être interdit aux grandes enseignes de coller leurs étiquettes sur les livres, ce qui les envoie automatiquement au pilon s’ils ne se vendent pas. Enfin, les diffuseurs ne devraient pas autant pousser à l’achat à certaines périodes de l’année, où des livres repartent par cartons entiers au pilon.

Quelle est la solution alors ?

La solution serait la décroissance. À tous les niveaux. Mais je ne suis pas sûre de voir cela de mon vivant ! Et pour cela imaginer un mode de vie du livre moins productiviste, acheter et vendre moins mais mieux. Bien sûr cela semble un vœu pieux mais qui a dit que le système actuel est durable ? Seule l’utopie est raisonnable.