Marion Guillot et Alexandre Seurat. Deux primo-romanciers en Pays-de-la-Loire

Publié le 17/12/2015 par Alain Girard-Daudon et Guénaël Boutouillet
Catégorie

Entretien croisé avec deux jeunes auteurs, remarqués à la rentrée 2015, dont l'une est nantaise et le second angevin.

La rentrée littéraire est foisonnante, pleine, pour chaque lecteur, de rendez-vous avec ses « habitués », autant que de découverte de nouveaux venus, tant dans le « paysage éditorial » que sur nos tables de chevet.

Septembre 2015 : parmi les premiers romans remarqués par la critique pour leur qualité, pour l’assurance de la voix neuve qu’ils posent, on compte une jeune nantaise, Marion Guillot, avec Changer d’air aux éditions de Minuit, et un angevin, Alexandre Seurat, avec La Maladroite, au Rouergue. Nous sommes allés à leur rencontre, pour en savoir plus sur cette aventure intime particulière. Entretien à quatre mains - pour en lire la version intégrale, c'est par là.

La traversée du premier roman.


Marion Guillot
Il s'est écoulé environ six mois entre le premier appel et le jour de la parution. Durée qui m'a maintenue à la fois dans la « rumination » de la très belle et bouleversante nouvelle de mars, et l'attente, à la fois inquiète, très enthousiaste, pleine de curiosité, de la publication. Sur ces six mois, beaucoup d'échanges avec la maison, la première rencontre avec Irène Lindon (« dans mes petits souliers »), avec le livre imprimé (premier contact matériel avec l'objet, première fois, finalement, où l'on croit à ce qui est en train de se passer) et les fameux locaux de Minuit pour le service de presse, premières annonces et évocations publiques du livre. Le jour de la parution, il se trouve que j'étais à Paris, très heureuse d'être sur place ce jour-là, de voir le livre chez des libraires et d'échanger avec eux. Tout ça a eu l'air à la fois très « simple » (alors qu'on entre dans un monde parfaitement inconnu), et tout à fait singulier.

Alexandre Seurat
Je suis passé par des sentiments très divers, extrêmes : lorsque le livre a été près d’exister physiquement (au printemps), une forme de panique a commencé à monter, à l’idée qu’allait devenir public un univers très intime, très personnel. (Comme pour me protéger de cette perspective, j’ai même commencé à accumuler dans un fichier des citations d’écrivains que j’aime, sur la honte, la violence, l’écart entre l’écriture et le monde public ou médiatique.) Puis tout ça s’est apaisé en juin, juillet, avec les premiers retours de libraires, plutôt bienveillants, et l’euphorie d’entrer dans un monde nouveau. Le jour de la parution, à mon étonnement, a été assez pénible : j’étais stressé, et je me sentais bête d’être stressé, j’ai rôdé dans les librairies du centre-ville d’Angers pour regarder si le livre était en rayon.


Etre écrivain en "Région" ?



Marion Guillot
La rentrée (au niveau professionnel) me conduit à pas mal de déplacements et de jonglage cette année, et je n'ai donc pas encore vraiment « vécu » la parution « hors des murs » parisiens, je n'ai pas eu le temps de la vivre. La première rencontre publique  aura lieu prochainement dans un de mes « chez moi » ; là encore, symboliquement, je suis très heureuse de commencer sur mon sol. Ce n'est ni plus ni moins serein (à la limite, moins qu'à Paris, où je suis une parfaite inconnue), j'ai en tout cas des souvenirs d'échanges joyeux, chaleureux et enthousiastes avec des libraires de ma région, que ce soit à Nantes ou dans le Morbihan. On navigue, là encore, entre l'extraordinaire et une belle forme de simplicité.

Alexandre Seurat
J’ai du mal à répondre à cette question, parce que je n’ai pas du tout l’impression d’être « excentré ». Ma maison d’édition, bien que basée à Paris, est rattachée à Rodez et Arles, par ses racines et son lien à Actes Sud. Beaucoup d’échos au livre sont venus de ma région, de Sarthe notamment (du fait de l’affaire source du livre). Votre intérêt en est l’image même. Et Paris n’est qu’à 1h40 : j’y suis assez souvent. Je n’ai pas tellement l’impression d’être protégé du choc de la publication, même si le milieu littéraire parisien est un monde qui m’est étranger. Autant dire que je ne suis pas très serein en ce moment : toutes ces émotions nouvelles me chamboulent.

 


Le métier d’auteur et les réactions au livre


Marion Guillot
Si seulement cela pouvait être appelé mon « métier » ! L'écriture, même lorsqu'on a la chance qu'elle soit rendue publique, passe souvent pour une activité « secondaire », parallèle à un métier, éventuellement complémentaire. Il y a ce qui fait gagner son pain, et le livre. L'entourage direct accueille cela avec fierté (on ne refait pas les mères !). Par ailleurs, s'il y a un « milieu » littéraire, il ne m'est pas encore bien connu, il me semble varié, échapper à toute homogénéité ; chaque fois, en somme, j'ai eu l'impression d'annoncer la nouvelle à des individus plus qu'aux membres d'un milieu, avec des réactions variées, et enrichissantes.

Alexandre Seurat
C’est assez radical – et un peu violent – comme mue : mes étudiants viennent me parler du livre à la fin des cours, mes collègues y font allusion. C’est toute une image sociale qui change (moi qui vivais avec l’écriture presque totalement en secret depuis 15 ans). Cela n’a pas changé mes liens avec mes libraires : ça les a créés. J’habite Angers depuis 2 ans, et si je fréquente souvent Richer, Contact, je suis du genre à aller droit aux livres que je cherche. Je suis assez réservé. J’avoue que je ne mesurais pas ce que c’est que le métier de libraire – l’engagement, l’énergie que cela nécessite de défendre les livres.