Fabien Vehlmann, scénariste BD (portrait et entretien)

Publié le 07/05/2015 par Marie Rébulard et Emmanuelle Ripoche
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Connu du grand public et des plus jeunes lecteurs pour les séries à succès Spirou et Fantasio et Seuls, Fabien Vehlmann a déjà scénarisé une quarantaine d’albums en moins de vingt ans de carrière.
Il est aussi de ces auteurs qui prennent part aux projets collectifs audacieux tels que la revue de fictions et de bandes dessinées numériques Professeur Cyclope. Néonantais, ce scénariste prolixe, chaleureux et engagé revient sur son parcours, son travail et ses multiples collaborations.

En 1996, alors qu’il vient d’obtenir son diplôme d’école de commerce, Fabien Vehlmann réalise qu’il n’a aucune envie de travailler dans ce milieu. "Je voulais faire un job fondamentalement créatif, mais j’avais peur de me lancer car j’avais peur d’échouer."

Enfant, la bande dessinée l’attire déjà, le cinéma également – il voulait "être George Lucas" – et il se dit qu’au fond tout le monde sait raconter des histoires, qu’il peut commencer par la partie "facile", une première étape avant de dessiner des BD ; il confierait ensuite ses scénarii "à des gens qui allaient les mettre en valeur".

Finalement, il se rend compte qu’il est "vraiment scénariste", qu’il est fait pour cela. Il pensait que ce serait simple, mais il lui a fallu de la patience, un travail acharné, des rencontres, "lire beaucoup les autres, les bons et les mauvais, et se mettre à la tâche". Les premières années, il fait face à la précarité que connaissent de nombreux auteurs de bandes dessinées qui souvent ne vivent pas de leur plume.

Le statut d’auteur de bande dessinée est en effet très précaire, la plupart ne gagnant même pas un Smic. Lors du dernier festival d’Angoulême, Fabien Vehlmann a d'ailleurs tenu un discours au sujet de la cotisation retraite à 8% qui laisse exsangues les plus bas salaires, discours que l'on peut retrouver sur son blog.

En 1998 commence le chemin vers la reconnaissance : les éditeurs de Dupuis lui donnent alors sa chance et il entre au magazine Spirou pour un numéro de « Une histoire de Spirou et Fantasio par... », qu’il inaugure avec l’illustrateur Yoann. Le duo s’avère si convaincant qu’en 2009 il est choisi pour reprendre de manière régulière la série. Entretemps, il a rencontré Denis Bodart, l’illustrateur de la série Green Manor, et Bruno Gazzotti qui illustre Seuls : sa carrière est lancée.

spirou

À chaque projet, le scénariste se met à la place de ses lecteurs : pour la série Seuls, il va chercher « la partie en [lui] qui a encore 10-14 ans ».
Ses personnages, il les affine suite aux séances de dédicaces ou au cours de rencontres avec les enfants dans les classes ; il lui arrive d’être étonné de la réaction des lecteurs: un personnage est parfois devenu plus populaire qu’un autre, alors qu’il ne l’avait pas prévu dans son scénario.

Son métier le passionne, parfois le consume, « une succession de burn-out suivie de moments d’exaltation ». Fabien Vehlmann écrit à son rythme, il a besoin de reprendre son texte plusieurs fois – de le « remâcher » - avant d’en être satisfait.
En termes de création, tout le monde n’a pas le même tempo. Ainsi, lorsqu’il est amené à collaborer avec Lewis Trondheim pour le tome 4 de Infinity 8, il se souvient : « Nous avons travaillé trois jours ensemble. À chaque fois, je revenais sur les trucs de la veille. Ce qui devait le rendre dingue ! C’est comme ça que j’écris. Je n’ai pas la certitude que peut parfois avoir Lewis qui lui permet d’aller très vite. »

S’il arrive que les éditeurs proposent à Fabien Vehlmann d’écrire pour des dessinateurs, le plus souvent, c’est lui qui a une idée de scénario, puis il cherche qui pourra l’illustrer.
Bien sûr, il sait s’adapter à son duo et, « si un illustrateur n’aime pas dessiner les chevaux, je ne vais pas lui faire faire une charge de cavalerie ! »

« J'ai ma petite musique personnelle, un truc à raconter, une façon de le raconter. »

À ses débuts, il veut plaire à un large public : le mainstream avant tout. Mais l’expérience de IAN, série de science-fiction illustrée par Ralph Meyer, lui apprend que toucher le grand public n’implique pas nécessairement de chercher à plaire à tout prix. « À force de vouloir plaire à tout le monde, on a plu à personne. C’était flou, c’était comme quelqu’un qui est dans l’hyper-séduction, mais qui montre un petit peu ses trucs. » Et puis ses amis, les auteurs Matthieu Bonhomme et Gwen de Bonneval notamment, l’amènent à s’intéresser à des projets plus expérimentaux. L’Herbier sauvage apparaît à un moment important de sa carrière, un passage à l’âge adulte en quelque sorte.

C’est en effet la première fois que son travail prend un versant littéraire. Il fait aussi un constat : s’il est beaucoup question de l’enfance et de la mort dans toutes ses bandes dessinées, il n’est jamais question de sexualité.

Il réfléchit alors à un concept : proposer à des personnes de lui parler de leur sexualité et faire de ces échanges la matière de courts récits. « Que ce soit érotique, drôle, dramatique ou effrayant, il faut qu’il y ait une émotion. »

Un projet en rencontre un autre, puisque L’Herbier sauvage a trouvé sa place au catalogue de Professeur Cyclope, le mensuel de fictions et de bandes dessinées numériques en ligne. Professeur Cyclope, c’est Gwen de Bonneval, Brüno, Cyril Pedrosa, Hervé Tanquerelle, Fabien Vehlmann et Annaïg Plassard, une bande d’auteurs réunis depuis trois ans autour d’une question fondatrice : « Qu’est-ce qu’on peut proposer en termes de bande dessinée numérique ? » Trop souvent réduite à des planches numérisées puis mises en ligne, la bande dessinée numérique possède pourtant un fort potentiel pour des modes de narration différents : il est possible d’ajouter de la musique, d’optimiser le case à case avec un scrolling vertical ou horizontal, etc.

« La vraie difficulté à laquelle sont confrontés les auteurs, c’est de créer de nouvelles formes de narration. Mais c’est passionnant car il y a une infinité de choses à inventer. C’est un farwest dans le sens excitant du terme. »

professeur cyclope

Le Professeur Cyclope, avec son regard singulier, l’a compris très tôt. Depuis deux ans, le collectif propose une revue web coproduite par Arte qui offre à ses lecteurs à chaque parution l’équivalent de cent pages de bandes dessinées, en
donnant carte blanche à un nouvel illustrateur ou une nouvelle illustratrice.

Malgré un modèle économique précaire, une fierté anime ce projet ambitieux : rémunérer ses auteurs. Cependant l’avenir de la revue est fragile, d’abord mensuelle elle est désormais trimestrielle : il n’existe pour le moment pas de standard pour l’epub et les stores de diffusion ne sont pas encore éprouvés. « On est les premiers à le faire. Et parfois, être les premiers, ce n’est pas une bonne chose. (...) Avec un format epub standard, le médium numérique pourra donner vraiment toute son énergie, tout son potentiel. L’avenir créatif se trouve du côté de la bande dessinée numérique. Il faudra un peu de temps avant qu’un modèle s’installe. »

Aujourd’hui, Fabien Vehlmann est heureux comme jamais, passionné, engagé, avec l’impression d’être là où il doit être.

Supplément audio : Le podcast

Fabien Vehlmann, scénariste
(un entretien, réalisé à Nantes, café le Flesselles, en février 2015)