Les Zanars, de Christian Bulting

Non, ce n’était pas un radeau médusé de San Francisco, ce frêle esquif de copains, mais une barque nazairienne sur laquelle soufflait une petite brise d’émancipation comme il y en avait dans l’air au début des années 70. Pour ces « Zanars », l’année du bac c’était plutôt l’année de la « Révolution ». Laquelle ? Ça se discutait fort et longuement, mais les principes de base étaient là, avec une belle allure situationniste : « Vivre sans temps morts, jouir sans entraves », « Vive l’anarchie et mort aux cons ! » L’esprit de 68 n’était pas tout à fait mort et ils voulaient le humer d’autant plus fort qu’ils étaient trop jeunes pour y avoir goûté quelques années auparavant. « Le vieux monde est à l’envers, il faut le remettre à l’endroit », crient-ils en chamboulant les meubles de la maison des parents à la fin d’une fête pas mal arrosée. « Fête l’amour pas la guerre », vont-ils graffiter hédonistement sur le mur du cimetière militaire. Ils piquent des bouquins et des disques. Ils sont pour la grève générale et la société sans classe et se demandent comment convaincre les prolos de la désirer. Ils poétisent. Ils découvrent de gentils jeux érotiques au fil d’amourettes décousues. Ils se battent pour l’avortement. Ils manifestent, une boule de rage au ventre, après l’assassinat de Pierre Overney. Ils gâchent, d’une manière peu orthodoxe, le ciment des promoteurs qui construisent sur le terrain maritime. Ils créent le mouvement Fada (Dada 72) et son journal Gros Plans sous-titré, bien sûr, Éthylique et décadent. Ils jouent « Satisfaction » et vont au concert de Ferré avec le drapeau noir. 

La révolte, l’ironie, la tendresse, on est dedans à fond. Et ça ne ment pas. Tout le foisonnement d’une époque, courte mais vive, est là, avec ses naïvetés, bien sûr, mais aussi avec ses émouvants enthousiasmes. On est dans le rythme.
« Y’en a pas un sur cent, et pourtant… »

Les Zanars, de Christian Bulting, Éditions du Petit Véhicule, 100 p., 16 €.
ISBN 9782371450417