Sans place, d'Antoine Émaz, et Je s'en va, de James Sacré

Publié le 05/03/2020 par Claire-Neige Jaunet
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Sans place, d'Antoine Émaz, et Je s'en va, de James Sacré : deux textes qui se font face, grâce à un montage particulier fait par les Éditions Méridianes. Lecture de Claire-Neige Jaunet. 

Sans place, d'Antoine Émaz, et Je s'en va, de James Sacré : deux textes qui ne se font pas suite mais qui se font face, grâce à un montage éditorial particulier; deux textes en miroir, dans la présentation comme dans le propos.

Sans place serait la réponse à une question universelle : quelle est notre place dans le monde ? Entre l'horizon et nous, l'œil peut se réjouir de voir danser des couleurs dans la lumière, du bleu, du soleil, de l'eau; et de voir, "selon l'heure", les variations, les "très légers bougés"... Mais ce n'est pas là un paysage au sens strict du terme, ce n'est qu'un "paysage de tête", pensé pour loger notre présence ; un regard intéressé, pour se sentir en "pays d'accueil" dans ce monde où nous passons, où l'eau sous le soleil roule "pour rien / sans fin", et d'où l'on "finit par partir".

Avons-nous seulement une place, nous qui tenons "peu dans l'espace" et dont le souffle est "bien plus court que celui des marées" ? Ne sommes-nous pas des "étrangers" dans ce monde dont l'ampleur nous dépasse – et nous laisse "sans place" ? L'éclat de la lumière en vient à nous faire violence, elle "cogne", elle pique, elle brise, elle réduit l'univers au strict minimum : "seulement du temps". Et cet espace devant nous, "trop grand", devient "Inhospitalier / Silencieux, indifférent". Notre passage laissera-t-il seulement "un sillage"...?

Antoine Émaz en a laissé un, à coup sûr. James Sacré s'en fait le témoin dans Je s'en va. Il emprunte à Sans place des expressions et des motifs qui deviennent des échos au sens propre et qui donnent une place matérielle aux souvenirs, d'une autre nature que les scènes, les lieux, les détails, rappelés par la mémoire.

Tandis que "la couleur des photos s'efface", les mots repris et revisités constituent un "continué". La compagnie d'Antoine Émaz tient désormais dans "la compagnie d'un poème" et la méditation qui l'accompagne ; méditation sur l'"énigme" du temps, de la mort, de l'écriture – ce qu'elle saisit, et ce qui lui échappe: "Le poème / N'est que le bleu du bleu / Que le bruit du bruit que font les mots". En écrivant à son tour, James Sacré "lui prend la main" et, comme lors d'un passage de témoin, s'achemine à son tour vers quelque "nuit plus grande", faite pour l'heure d'un "calme étrange et sans réponse". Il y a là comme "un respir du temps" dans lequel "Ecrire fait du bien".

Sans place, d'Antoine Émaz, et Je s'en va, de James Sacré, Éditions Méridianes, Collection “Duo”, 14 p. + 14 p., 14€, ISBN: 978-2-917452-70-7.