Love addict, de Koren Shadmi

Publié le 16/01/2017 par Élisabeth Sourdillat
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Avec le développement des sites de rencontre, y a-t-il un nouveau rapport à la sexualité ? Voici la question que pose Koren Shadmi dans Love Addict. Lecture d’Élisabeth Sourdillat.

K. est trentenaire, célibataire et new yorkais. Un soir il se laisse persuader par un copain de s’inscrire sur un site de rencontres, l’équivalent américain "D’Adopte un mec". Les évènements s’enchaînent ensuite et le lecteur de Love Addict, le nouveau livre de l’écrivain et dessinateur Koren Shadmi, lui emboîte le pas pour 75 rendez-vous lors desquels on le voit se laisser entraîner dans une frénésie de drague, au point de ne plus se reconnaître. En dessins et en dialogues il dresse un portrait passionnant d’un nouveau rapport à la sexualité (avec ou sans l’option amour), induit par les réseaux sociaux. Que le lecteur pratique ou pas les sites du genre Meetic, ce livre l’amène à s’interroger, car il parle, sinon de nous, du moins de notre voisin(e), relation de travail ou ami(e) qui vont y surfer. Autant d’alter egos devenus les acteurs d’un phénomène de société méritant qu’on l’observe.

Koren Shadmi se place dès la première image sous l’égide de Robert Crumb, ce grand amateur de femmes qui les dessine toujours callipyges, arpentant le monde sur des jambes bien charpentées, dotées de corps de rêve tout en cuisses, fesses et seins. Beautés un rien inquiétantes, les créatures de Crumb comme celles de Shadmi, ressemblent parfois à des machines de guerre ou à des Walkyries prêtes à dévorer nos auteurs qui eux prennent les traits d’antihéros mal gaulés et rachitiques. Exactement comme le fait Woody Allen, convoqué lui aussi, de la paire de lunettes aux rendez-vous chez la psy, en passant par la passion des femmes et l’humour juif new-yorkais.

Tout ce récit baigne dans des couleurs chaudes comme le propos et les scènes hot, des nuances d’orangés, de rouges, violets, roses qui restituent le sexe, sous-texte permanent, aussi bien que l’étouffement auquel il conduit ici. Le trait pas tout à fait réaliste, et les dialogues, donnent un aspect à la fois documentaire et distancié qui sent bien l’expérience vécue, il y a de l’autobiographie là dedans. Notamment, K. nous livre,  par sa propre voix ou celle de son colocataire beau gosse, le mode d’emploi d’un site de rencontre. Petit manuel à l’usage du surfeur,  tout y passe: à quoi ressemblent les pages et les profils, que dois-je écrire, quelle genre de photo va mieux marcher, quels textos on échange, à combien de femmes écrire pour espérer avoir 3 réponses, comment se passent les rendez-vous, les faux profils, les lieux où se rencontrer, comment se comporter… Un univers finalement terriblement codifié et chronophage.

Qu’est-ce qui fait qu’un homme pas très beau et peu sûr de lui se met à enchainer les conquêtes ? À New York comme ici, les réponses sont les mêmes, que nous donne Koren Shadmi, du sentiment de toute puissance au sexe sans lendemain, de la lâcheté ordinaire à l’addiction. Pour conclure, on convoquera Gainsbourg, notre antihéros pas sexy à nous, portant vrai séducteur qui connaissait son sujet et lui aussi expliquait comme on peut faire l’amour sans amour. "L’amour physique est sans issue" chantait-il. Avec le développement des sites de rencontre, la manière d’envisager la sexualité et/ou la relation amoureuse est-elle en train d’évoluer ou finalement rien de nouveau, juste de nouveaux moyen de ne pas se rencontrer ?

Love addict : Confessions d’un tombeur en série, par Koren Shadmi, traduit de l’anglais (États-Unis) par Bérengère Orieux, Éditions Ici Même, 224 pp., 25€, ISBN: 978-2-36912-012-4.