Jusqu’à la bête, de Timothée Demeillers

Publié le 25/09/2018 par Christine Tharel
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Après Prague, faubourgs est, un premier roman paru aux éditions Asphalte en 2014, Timothée Demeillers, jeune auteur originaire d’Angers, livre un témoignage poignant sur les conditions de travail dans un abattoir. Lecture de Christine Tharel.

« Clac, clac, clac, les carcasses défilent... »
Erwan est ouvrier dans un abattoir près d'Angers. Il travaille aux frigos dans un froid mordant. Une vie à la chaîne... Mais c’est depuis la prison Rennes-Vezin qu’il évoque sa vie et son quotidien au travail.

“Ce sang poisseux qui te colle aux basques, qui te colle au crâne, qui te colle à la peau... qui te dit que toi aussi tu finiras sûrement bientôt suspendu à un de ces crochets, la tête en bas, à te vider de ta sève...  ”. Pour échapper au monde clos de l’abattoir, Erwan songe à sa jeunesse, à son histoire d'amour avec Laëtitia mais aussi à ses angoisses qui peu à peu s’infiltrent et iront croissant jusqu’à la tragédie, “l’événement” qui le conduira en prison.

Le roman est rythmé par les clacs de la chaîne à l’instar des lourdes portes métalliques de la prison. L’écriture de Timothée Demeillers est comme une lame. Sa plume précise incise. Les phrases martellent, sont courtes et cinglantes comme des claques.

Dans cet univers sonore déshumanisé, à la limite du supportable, ce quotidien dénué de sens, la pause cigarette est l’unique moment de silence, “notre échappatoire à nous”.

Dans la courte vie d’Erwan il y a deux points de repère : Laetitia, il y a dix ans et “l’événement”, il y a deux ans. II tente de tisser des liens entre les deux histoires, “Mes deux seules portes d’entrée pour remettre en place toutes ces années d’usine, pour tenter de comprendre l’horreur qui devient la clé de l’ordonnancement de mes pensées en jachère... "

Si la souffrance des bêtes est évoquée, c’est bien de celle des hommes et de leurs conditions de travail innommables dont il est question ici. Ce livre est un roman social, engagé et qui porte une réflexion politique : travailler à tout prix mais à quel prix ? Le récit s’ancre dans un territoire précis et dans une réalité économique et sociale très actuelle : “Un CDI ça ne se refuse pas, c’est un graal dans le coin” ou encore “Paul qui voulait être éleveur et se retrouve à l’abattoir. Il a 22 ans et en fait déjà 40”.

L’auteur s’attache à décrire les cadences, le temps interminable qui ne passe pas, les gestes répétés à l’infini, que rien ne peut stopper sauf handicap ou plan social. Il évoque le corps de l’ouvrier à la chaîne, les sales douleurs à trop répéter les mêmes mouvements mécaniques. Il dissèque les relations au sein de l’entreprise, la haine, le mépris, les humiliations du directeur commercial accumulés au fil des années.

Pour écrire ce roman, Timothée Demeillers s’est inspiré de sa propre expérience puisque qu’il a travaillé quelques mois à l’abattoir du Lion d’Angers, celui-là même qu’il décrit. L’expérience l’avait alors tellement marqué qu’il en avait tiré une courte nouvelle, publiée dans le fanzine de son université. C’est ce texte qu’il a repris et retravaillé pour en faire ce roman coup de poing avec lequel il a remporté Le Prix du Jeune romancier Le-Touquet-Paris-Plage 2017, le Prix du roman d'Entreprise et du travail et le Prix Calibre 47 au salon “Polar’ Encontre”.

Jusqu’à la bête, de Timothée Demeillers, Asphalte éditions, 160 p., 16€, ISBN:  978-2-918767-71-8.

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