Ève, de Christian Bulting

Publié le 06/03/2017 par Claire-Neige Jaunet
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Ève, de Christian Bulting — le récit d'un amour adolescent, mais aussi l'évocation tendre d'un lieu, La Baule, qui rythme le cours de la vie durant des années.

Ève : la femme éternelle, comme le disent les premiers mots du texte empruntés à une chanson fétiche de Franck Alamo ; celle qui peut devenir muse pour le poète — même si, bien souvent, "ces muses ne culminaient pas à la hauteur des vers qu'elles avaient déclenchés". Sauf dans le cas présent...  où le narrateur nous dit : "Mon modèle, Ève, surpassait en beauté toute ma capacité à la chanter". Car Ève est ici l'amie d'enfance devenue adolescente puis femme, une adolescente qui a fait rêver, désirer, fantasmer, malgré ses caprices d'humeur et une distance savamment entretenue après une brouille qui les a séparés; une adolescente pour qui on a imaginé des ruses et des filatures en vélo dans l'espoir (rarement satisfait) de réussir à s'en approcher pour quelques instants. Petit jeu de chat et de souris qui entretient des "tourments" et attise le désir, développe le rêve de la femme avec laquelle on aurait voulu partager sa vie.
Mais Ève deviendra la femme d'un autre et deviendra mère sans lui. Une histoire somme toute banale : un amour de jeunesse qui n'a pas trouvé sa résolution. Et qu'un regard extérieur viendra remettre à sa place, chassant Ève de son piédestal de muse extraordinaire, rattrapée par son humanité ordinaire : "C'est ça ! C'est ça ! Je croyais qu'elle était belle. Elle est minable, elle a les cheveux gras, elle se traîne avec son marmot." Dures paroles, qui cependant ne font pas taire le moi amoureux, car pour le poète c'est la créature "inaccessible" qui compte : "Mon écriture amoureuse avait besoin d'elle pour exister, et son refus de mon amour formait le ressort de mon écriture."

Ève n'est pas seulement le récit d'un amour, c'est aussi l'évocation tendre d'un lieu, La Baule, qui rythme le cours de la vie durant des années. C'est là que l'enfant, puis le collégien,  vient passer les vacances de printemps et d'été, chez la grand-mère ; c'est là que les émois adolescents sont favorisés par le soleil, la plage, et les corps dénudés, par les rencontres parfois fortuites parfois  provoquées par les liens des adultes. Eve est indissociable de "ces étés baulois" où elle vivait sa part de vie, sans se soucier des déceptions qu'elle infligeait à celui qui a compris tardivement : "Tu avais de l'amitié à m'offrir, je voulais de l'amour."

Ce lieu est également présent dans les photos de Luc Vidal qui évoquent les leitmotiv du texte : la mer, la ville, la plage, les cheveux blonds, le vélo... Et surtout, par leur cadrage, elles évoquent le regard qui guette, qui épie, qui cherche à voler la présence de l'autre sans se montrer.

Eve, de Christian Bulting, Éditions du Petit Véhicule, 60 pp., 20 euros, ISBN 978-2-37145-505-4.