Le Cœur est une place forte, de Marie-Hélène Prouteau

Publié le 06/05/2019 par Carole Poujade
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En deux albums, Revenance  et Sous les pierres, la mémoire, Marie-Hélène Prouteau redonne vie aux fantômes des guerres, entre Maissin, Brest et Sarajevo. Un bel hommage à un grand-père qu’elle n’a pas connu. Lecture de Carole Poujade.

Des feuillets fatigués. La douceur du chiffon. Une couleur beige ocre. Marbré de taches brunes. Un vieux livret perdu, oublié, puis retrouvé, comme par miracle, au fond d’un grenier. C’est celui de Guillaume, le grand-père de Marie-Hélène Prouteau, un grand-père qu’elle n’a jamais connu.

Mais il émane de ces feuillets comme des chuchotements, des murmures, des souffles, des voix d’ombres, ou des mots criés. L’auteur débute sa quête : consultation d’archives, entretiens, décryptages des registres des ministères, entre le Finistère et la Belgique. Quelle connerie la guerre. Quelles conneries les guerres ! De Maissin à Brest, de Brest à Alep ou Sarajevo. Les bêtes qui hurlent, le sang qui raidit les étoffes, les râles, les baïonnettes qui fouaillent les corps, l’enchevêtrement des corps dans les barbelés.

‟Le silence et le rouge. Tout est rouge.” L’atmosphère est retranscrite dans toute sa barbarie. De rencontres en témoignages, le curé de Tellin, l’enfant fossoyeur, Henri, Suzanne rejoignent Guillaume. Le vieux livret  ‟frémit, s’anime, un léger trouble de l’air, semble-t-il.” Les personnages reprennent vie. Ils se croisent au détour des chemins. Il y a aussi Sara qui aime ‟le chant, la broderie et les promenades au bord de la Lesse.” Il y a ‟le vent qui, par l’Ouest au Verger, vient affoler les rangs des pommiers en fleurs” ou encore ‟le frisson des avoines qui annoncent l’été.” Une poésie qui réconforte. L’auteure en appelle aux artistes, comme pour panser les plaies. Peintres, musiciens, poètes. De Pierre Bonnard à Luboš Fišer, de Jacques Prévert à Paul Celan. Le Cœur est une place forte. La vie, toujours la vie, à l’image de ces rudérales qui poussent spontanément dans les décombres.

‟Qu’est-ce qui bégaie en toi de cette mémoire ?”, s’interroge Marie-Hélène Prouteau. La petite fille qui accompagne sa grand-mère au tombeau familial n’a pas oublié. D’une écriture à la fois sensible et rigoureuse, l’auteure ne perd jamais le fil et ravive la mémoire des oubliés. Les descriptions sont précises. Les vieilles cartes postales d’une éblouissante netteté. Les documents engrangés gonflent peu à peu le vieux livret. Armée d’une lampe frontale, l’auteur tâtonne toujours dans la pénombre. Elle ‟écoute aux lisières” et livre ici une ‟écriture de fouilles” pour ‟redonner à ces éternels fantômes, une petite place de leur humanité perdue”.

Le Cœur est une place forte de Marie-Hélène Prouteau, Éditions La part commune, 147 p., 14€, ISBN 978-2-84418-382-8.

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