Le bruit du monde, de Stéphanie Chaillou

Publié le 02/10/2018 par Patrice Lumeau
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Le bruit du monde, troisième roman de Stéphanie Chaillou, est chronologiquement le premier qu’elle a écrit. L’auteure, originaire de Nantes, signe ici un ouvrage âpre et rude, emprunt d’une froide beauté. Lecture de Patrice Lumeau. 

Sans ménagement on plonge dans ce livre. L’eau est froide. De ce bain de pauvreté, dans lequel nous immerge l’auteure, affleure le quotidien d’une enfance marquée par son origine géographique et sociale. Marie-Hélène Coulanges, née en 1964 à Pouzauges, dite Marilène, incarne, à son corps défendant, l’héroïne. Elle va devoir se battre pour exister.

L’auteure avec une plume incisive déroule une écriture qui ne s’encombre pas d’adjectif, ou si peu. Les phrases sont courtes. Elles délivrent une information claire. Le propos est tendu. Des mots écrits les dents serrés. Marilène, perdue d’incompréhension, cherche une lumière au-delà du calvaire qui se dresse sur sa campagne. Brillante élève, comme une anomalie dans cette famille pauvre, elle suit dans un premier temps le chemin indiqué. Pourtant elle ne se sent pas à sa place. Marilène est éprise d’une totale liberté. Mais elle ne le sait pas. Elle souffrira de cette soif d’être soi.

“Elle avait peur que le désir la tue. Elle savait qu’il était possible d’être tué à cause de ça. Désirer. Vouloir trop fort. Elle ne savait pas, alors, si c’était à cause de sa lecture de Madame Bovary ou à cause de son père”.

Les mots simples frappent juste. Une concision de poète fait vibrer le texte. L’apparente froideur rend compte de la difficulté du personnage à évoluer dans une société qui ne répond en rien à ses aspirations. L’auteure nous livre le mal-être d’une individu, et sa quête profonde d’identité. Qui je suis ?

“Novembre 1987. Marilène s’avoue qu’elle n’aime pas les enfants. Qu’elle n’a pas d’affection particulière pour les petits d’homme”.

Constat terrible quand on sait que Marilène est institutrice. Constat courageux. L’héroïne, car c’en est bien une, Marilène se bat seule. Contre sa famille, ses collègues, son mari, sa terre natale. Contre ceux qui ne la comprennent pas, ceux qui évoluent dans un univers qui lui semble vide de sens. Elle lutte. Sa sensibilité exacerbée se cache tant et bien qu’elle lui trouve l’échappatoire nécessaire, et, en quelque sorte l’excipient qui lui sauve la vie: écrire. D’ailleurs, Stéphanie Chaillou dira à propos de son personnage: “Pour Marilène, écrire c’est exister, c’est retrouver une puissance, [...] Les pauvres, en écrivant leur histoire, elle les sauve.”

On entre en l’écriture de Stéphanie Chaillou, en prenant une grande inspiration. On en sort comme ressourcé, également secoué. Stéphanie Chaillou nous offre un récit brut et beau. Bouleversant, Le bruit du monde, fait entendre un son qui peut résonner en chacun. D’une histoire simple, Stéphanie Chaillou extirpe une histoire forte.

Le bruit du monde, de Stéphanie Chaillou, Éditions Noir sur blanc, collection Notabilia, 168 p., 14 €, ISBN: 978-2-88250-519-4.

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