La baie des cendres, de Stéphane Bouquet et Morgan Reitz

Publié le 11/09/2018 par Claire-Neige Jaunet
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La baie des cendres, une belle collaboration entre l’écrivain Stéphane Bouquet et le photographe Morgan Reitz. Un réel filtré par un regard, où il s'agit de “figer le monde pour le coloriser”. Lecture de Claire-Neige Jaunet.

Le recueil La baie des cendres s'ouvre sur neuf photos de Morgan Reitz aux motifs familiers mais aux couleurs surnaturelles : ciels jaunes, végétation lie-de-vin, eaux étrangement teintées...

Stéphane Bouquet se saisit de ces paysages à mi-chemin entre le réel et l'onirisme pour raconter une histoire en neuf étapes, en lien avec chacune des photos. Comment ne pas relier, par exemple, l'attente initiale de la femme sur “le pont au-dessus de l'eau”, sous le ciel “orange”, et la première photo, avec ses bateaux à quai en attente d'une nouvelle partance, non loin d'un pont, sous un ciel orangé...

Les décors suivants entrent un par un dans la déambulation du personnage: une “guinguette de fer”; une ouverture qui ne laisse entrevoir qu'une herbe rougeâtre dont “on dirait qu'elle saigne”; une fête foraine avec sa grande roue et sa boutique à kebab ; un “printemps mauve”; un village vu “de très loin”, ligne suspendue entre ciel et eaux “sous des dorures d'icône”; une usine ; un jardin; et enfin une nuit si noire que tout s'y engloutit, ne laissant subsister que l'attente anxieuse du matin.

Des lieux donc – ou des moments – à partir desquels s'établit une filiation entre photos et texte. Mais leur relation tient surtout à une posture commune aux deux artistes : ils transforment le visuel ; l'un à l'aide des couleurs, de la lumière, et des cadrages, l'autre par la force de l'imaginaire.

Les photos, avec des eaux sont trop vertes, des terrains trop colorés, des ciels trop dorés, des nuits trop denses, redéfinissent les décors qui vivent d'eux-mêmes, sans présence humaine si ce n'est que suggérée par quelques signes (des constructions, des bateaux, ...). Tout cela nous donne à voir un réel filtré par un regard, où, comme le dit le narrateur, il s'agit de “figer le monde pour le coloriser”. De son côté, Stéphane Bouquet déroule un récit qui prend son essor lorsque surgit un improbable “bateau postal” porteur d'une lettre qui devient le fil conducteur d'un texte à l'autre, et qui engage une exploration des lieux, du temps, de ce qui a été vécu, de ce qui pourrait advenir encore... Les éléments concrets des images sont aussi pour l'écrivain une passerelle vers le monde de l'abstraction et de l'intériorité.

Ainsi, des immeubles au second plan suggèrent “une ébauche de famille”, le bleu crépusculaire d'une ville éveille le rêve de la “fulgurance bleue des martins-pêcheurs”, un pan de mur qui cache la majeure partie du décor interroge sur ce qui se dérobe au regard...

Le recueil nous plonge dans une succession d'images visuelles et mentales portées par deux regards en harmonie, réalisant ensemble cette possibilité de s'ouvrir “sur un nouveau monde tout à fait ailleurs”.

La baie des cendres, de Stéphane Bouquet et Morgan Reitz, Éditions Warm, 2017, 60 pages, 13 euros, n°ISBN 978-2-9556739-4-2

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