Assommons les poètes, de Sophie G. Lucas

Publié le 24/04/2018 par Amandine Glévarec
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Le nouveau livre de Sophie G. Lucas, Assommons les poètes, nous parle du métier de poète – le frigo à remplir, les rencontres avec les publics, le Québec, la nécessité de résister. Lecture d’Amandine Glévarec.

Dans la vie d’une poète d’aujourd’hui, il y a les mots trouvés et les mots dits, les mots qu’on fait dire et les mots que l’on offre, il y a les rencontres, avec ceux qui en manquent, avec les handicapés, avec les emprisonnés, les isolés, avec ceux qui ne manquent ni d’air ni de souffle mais pour qui la liberté, la promesse des mots, est un cadeau. La poétesse est une généreuse. Ça, c’est dit. 

La poète dans son livre, livre de lecture, offre encore, des découvertes, des envies. L’amour qui se transmet, c’est sans prix. Mais la poète est une généreuse qui doit gagner sa vie, qui parle d’avoir quelque chose à offrir, doit aussi parler de ce qu’on lui offre, ou donne, ou paye, tout bonnement. Parce que le frigo à remplir. Alors les petites chroniques de cette grande poète ne font pas non plus l’impasse sur les aspects concrets du métier. Non aux claquettes, oui à la rémunération des auteurs invités en festival. Ça va la promotion, la communication, elles ont bon dos, travailler gratos, non et non à raison. 

Dans la vie d’une poète d’aujourd’hui il y a, aussi, la vie en résidence, la vie en déshérence, la chance de partir grâce aux mots, qui sonnent dans une autre langue, dans notre langue mille fois découverte, mille découvertes. Le Québec. 

Dans cette vie de voyages il y a ceux qui se font, encore, immobiles, entre les murs doublés, tapissés, de bouquins, d’un 23m2 et de l’immensité qu’il contient. Dans la vie de Sophie G. Lucas il y a donc des mots et des verbes, des verbes d’action comme on dit, vocabulaire professionnel. Écrire et faire écrire, lire, résider. 

Et le dernier, l’un des plus beaux, résister. Résister à quoi, aux choix que l’on nous impose, à la culpabilité, à la justification, aux comptes à rendre et à faire, imposés. À un monde auquel on n’échappe pas, politique et logique qui ne sont pas celles d’une poète, d’une rêveuse, d’une amoureuse. Résister à ce qui fait que l’on ne se reconnaît pas dans ce monde, que ce monde n’est pas, pas ou plus, notre monde, résister à ce qui nous amènerait à devenir une autre, autre que celle que nous sommes, résister aux sirènes, aux alertes, aux hauts cris, quand bien même ils viennent du cœur d’une mère inquiète, aux vociférations douceâtres d’un conseiller à l’emploi qui parle, qui parle, qui s’écoute parler sans écouter. L’affirmation de soi, du sens que l’on veut donner à sa vie, la liberté, c’est un prix, un manque à gagner, un choix affirmé, une prise de risques et une obligation, morale, une obligation que l’on a envers soi-même. Et dans cette résistance, qui nécessite tant d’énergie, ne pas oublier qu’il y a la solitude, de la lecture et l’autre, la solitude du doute, mais qu’il y a aussi la force de la multitude, car ils sommes nombre, ceux touchés par la grâce des mots, une réalité autre à corps dévoué, un sacerdoce, une passion. 

Assommons les poètes, de Sophie G. Lucas, Éditions La Contre allée, 160 p., 10€, ISBN :  9782917817971.

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