L’Abandon des prétentions, de Blandine Rinkel

Publié le 10/05/2017 par Jean-Luc Jaunet
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L’abandon des prétentions. Avec ce titre plein de modestie, Blandine Rinkel ne pouvait sans doute faire meilleur choix pour présenter ce portrait de sa mère discrète, sa petite vie pleine d’un grand appétit pour celle des autres. Lecture de Jean-Luc Jaunet.

L’abandon des prétentions. Avec ce titre plein de modestie, Blandine Rinkel ne pouvait sans doute faire meilleur choix pour présenter ce portrait de mère discrète, celui de sa propre mère.
Jeanine, jeune retraitée dynamique, ancienne professeure de langue dans un collège, séparée depuis longtemps de son mari, est en effet à mille lieues de toute parade, de toute gloriole sociale. Sans cesse à l’affût d’une rencontre avec des gens plus ou moins dans le besoin, mais toujours, pour elle, porteurs d’une charge d’inconnu social, elle aime passionnément écouter l’histoire des autres, entrer dans leurs vies, emplir sa vie de la leur.

Cette “femme-oreille”, comme la baptise l’auteur, se repaît ainsi des récits de vie de Moussa, le demandeur d’asile syrien  empêtré dans ses démarches de regroupement familial; d’Alvirah, la vieille Algérienne toujours traumatisée par sa nuit de noce agitée; de Carmen, la chanteuse de rue mythomane, rencontrée près du port de Nantes, et de tant d’autres.

Beaucoup de gens d’origine étrangère dans ces rencontres, car Jeanine traque les “hybridations culturelles”, aime attraper “les voix du monde”. Habitant Rezé, “une commune neutre, en bordure de Nantes”, “un espace équivoque où les vies ne semblent jamais pouvoir être tout à fait ratées, ni tout à fait réussies”, elle sait débusquer l’exotisme social au plus près, comme au rayon surgelé de la supérette(!) et faire de sa cuisine peinte en rose un étonnant lieu d’écoute.

Elle aime par ailleurs partager sa grande maison, maintenant très vide, avec quelques locataires nécessiteux pour sentir un  bruissement de vie, de jeunesse auprès d’elle, même si quelques pénibles expériences de bailleur, avec un repris de justice, une bande de fêtards peu délicats, la mettent à mal avec les voisins très rangés de son impasse.

En 65 fragments (65, comme l’âge de Jeanine) qui constituent le livre, Blandine Rinkel (r)assemble la vie de Jeanine, sa petite vie pleine d’un grand appétit pour celle des autres. Elle le fait avec compréhension, étonnement, agacement parfois, mais toujours avec tendresse et, là aussi… abandon des prétentions. Pas de lyrisme envahissant, en effet, pas de mots enjolivant la figure maternelle, de magnification littéraire de la mère. Tout au contraire, une écriture qui, pour rendre la discrétion de Jeanine, recourt aux notations, images, mots les plus sobres, les plus justes. Et c’est bien cette écriture à la ligne claire, sans emphase ni fioritures prétentieuses, qui donne au livre sa touchante vérité.

L’Abandon des prétentions, par Blandine Rinkel, Éditions Fayard, 240 pp., 18 €, ISBN: 978-2-213-70190-5.