À mes yeux, de Laurence Werner David

Publié le 27/02/2017 par Frédérique Germanaud
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Dans À mes yeux de Laurence Werner David, la romancière angevine distille habillement l’inquiétude tout au long de sa narration. La langue est précise, cherche à dire au plus près les failles, la quête de sens et ce qui se dérobe sans cesse. Lecture de Frédérique Germanaud.

Certains êtres se bâtissent sur le secret. Victor Crescas, le personnage principal et narrateur du nouveau roman de Laurence Werner David, est de ceux-là.

Les premières lignes d’À mes yeux ont la sécheresse d’un rapport de police : le narrateur y décline ses nom, prénom et profession. Depuis plusieurs jours, il fait le guet devant un lycée de Nemours. Il vient de repérer celui qu’il cherche : Tom, son fils, dont il est sans nouvelle depuis que l’enfant, à quatre ans, a été emmené par son ex-compagne. Usant des ressorts du thriller, Laurence Werner David pousse Victor Crescas à séduire la mère de la petite amie de Tom pour mieux approcher celui-ci, sans dévoiler ni son passé, ni ses desseins. Le stratagème opère si bien que Victor et Jade vont s’aimer et vivre ensemble.

Secrets et mensonges, donc. Comment révéler à Jade qu’il l’a approchée dans le seul but de retrouver son fils ? Victor Crescas est enfermé dans le piège qu’il a posé. Laurence Werner David nous dévoilera peu à peu qu’il s’intègre dans une lignée d’hommes enclos en eux-mêmes : un grand-père disparu mystérieusement, un père taiseux, son fils Tom absent, son autre fils Mattéo en fuite. Une vie construite sur de telles fissures est nécessairement fragile et dangereuse. Le narrateur côtoie des gouffres et met en péril son entourage. N’est-ce pas sa première compagne qui, déjà, disait : “un jour de départ en vacances, sur une route, j’ai imaginé qu’il allait tous nous tuer”.

La menace d’être découvert pousse Victor à déménager avec sa nouvelle famille à Maisons-Laffitte. Il y fait la connaissance de Jacques Garland, éducateur spécialisé, qui le met sur la piste de quelques faits divers sordides impliquant des mineurs, et notamment le meurtre du Chambon-sur-Lignon. La figure de Tom s’éloigne alors, pour être remplacée par celle du jeune meurtrier dans l’esprit du narrateur. Un intérêt qui va devenir obsession, contaminant les autres membres de la famille.

La romancière déroule son intrigue, captivant le lecteur. Elle distille habillement l’inquiétude tout au long de sa narration, usant du “je”, mais ne se privant pas de faire des incursions dans des lieux où le narrateur ne se trouve pas ou dans la tête d’autres protagonistes. Lieux, personnages principaux et secondaires sont tous dotés d’une forte présence et gardent chacun leur part obscure. La langue est précise, cherche à dire au plus près les failles, la quête de sens et ce qui se dérobe sans cesse, plus à travers des faits, des déplacements, des décors que dans de longs déroulements psychologiques. La photographie volée et manquante, dans l’album familial, à la fin du livre, résume l’histoire de Victor Crescas, cette ancienne douleur qui l’accompagne depuis toujours et dont il ne peut se défaire.

À mes yeux, par Laurence Werner David, Éditions Buchet-Chastel,  Collection “Qui Vive”, 296 pp., 17€, ISBN  : 978-2-283-03002-8.