La Mayenne à portée d'oreilles

Publié le 10/10/2016 par Elisabeth Sourdillat

Entre 1980 et 1983 une trentaine de bénévoles, sous la houlette du musicien et ethnomusicologue François Redhon, a sillonné la Mayenne. Ensemble ils ont collecté, au plus près des gens, des chansons, des danses, des airs de musique. En 2016, le résultat de cette collecte (textes, photos, enregistrements) renaît dans ce livre qui nous parle de la Mayenne et des Mayennais.

Attention, la découverte peut sembler ardue, car il s’agit d’une tradition musicale transmise oralement entre générations. Nos oreilles se sont déshabituées, il faut prendre son temps, s’imaginer à la veillée, au bal, à la noce. L’exercice demandera à certains une bonne dose d’humilité, la « Vie moderne » (dont Raymond Depardon montre si bien les travers dans ses films) nous dictant de mépriser la culture populaire.  

Celui qui accepte d’emprunter ce chemin plongera dans les profondeurs du pays et le coeur de ses habitants. La Mayenne est un départementrural et ce sont surtout des gens de la campagne, paysans, petits artisans, qui ont restitué ce vaste répertoire de chansons, perdu pour les urbains. 

François Redhon se disait stupéfié de la qualité de ce qu’il avait collecté. Le Mayennais aime chanter et, autrefois, on chantait toute la journée, et pas seulement aux fêtes de famille. Chaque ferme avait son musicien ! Écoutées maintenant, ces chansons convoquent un quotidien un peu oublié ; elles nous racontent aussi une société très communautaire dans laquelle la pratique musicale crée intimité et liens entre tous. Elles évoquent enfin des moments-clefs de la vie sociale puisqu’on chantait lors des battages, rilles, veillées de pommé ; de la lessive annuelle, du conseil de révision, et surtout des noces, aux étapes codifiées, auxquelles un musicien participe de bout en bout. On danse près des cabarets, lors des foires et assemblées. Certaines traditions perdurent encore aujourd’hui, telle « chanter le mai » (festival des Mouillotins à Cuillé).

Tout cela est très vivant et truculent, et les témoignages parlent de fêtes où on danse toute la nuit, de cafés concerts, de marchands de chansons… La plongée s’accompagne de tout un vocabulaire éloquent, le ménétrier étant le violoneux ou l’accordéonneux qui joue lors des fêtes, souvent musicien « de routine »c’est-àdire autodidacte jouant àl’oreille. La musique étant omniprésente, les musiciens étaient des gars du coin qui, en l’absence de conservatoire et de cours de solfège, décidaient de se former seuls  àun instrument. Et puis les noms de lieux, les noms de familles…. On vous laisse découvrir.

Écoutons les CD car il faut entendre les interprètes « live » (la voix de deux grands-mères ! le violon du grand-père !) ; car, surtout, nous avons du mal à cerner avec précision ce passé sonore. On est assez vite pris par l’émotion : enregistrements bruts en situation, avec les moyens du bord, dans les lieux de vie - dans la cuisine, le chien aboie, le canari se met à chanter, une voiture passe.

Les photos donnent chair à cette rencontre avec nos malicieux anciens, à cette peinture d’une société rude mais qui sait frotter la semelle. Des gens simples mais de sacrés porteurs de mémoire. Accordéon au bras, casquette vissée sur la tête, dans une salle des fêtes, ils sont vieux, mais on sent qu’autour ça danse sérieusement et joyeusement. De la même façon, les deux musiciens embauchés pour une noce posent bien fièrement au premier rang, devant les mariés eux-mêmes.

 

Et, aujourd’hui, à quoi peut servir ce genre de memorabilia ? Le livre avoue vouloir offrir une seconde vie à la riche tradition orale musicale en Mayenne. Il s’adresse aux Mayennais, mais pas seulement. 

« Il ne s’agit pas de montrer mais de refaire circuler (…) nous ne parlons plus au passé mais au futur ». 

Témoignage unique d’une société rurale disparue (celle des parents, grands ou arrière-grands-parents), ce répertoire se conjugue aussi au présent. Car ces chansons, petits trésors de poésie populaire, n’ont rien perdu de leur force et de leur pouvoir à déclencher souvenirs et rêves. On devine là un autre but, inscrit en creux : ce n’est pas puéril de chanter ces chansons anciennes, elles ne sont pas à mettre au grenier. Il faut au contraire redonner confiance aux gens en leur propre jeunesse et rouvrir une porte - mal fermée - du souvenir.

 

Ecoutez gens de Mayenne, 364 pages, 18 x 24 cm, ISBN : 978-2-919046-37-9, 25 €