Frédéric Palierne, la lecture hyperactive

Publié le 21/06/2018 par Alain Girard-Daudon
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Tous les jeudis, il lit les suppléments littéraires de La Croix et de l'Humanité, de Libération, du Figaro, et enfin du Monde

De ces lectures, il fait une sorte de synthèse qu'il appelle La revue d'Action critique, publiée sur la Toile, envoyée gratuitement à qui le souhaite : professionnels du livre qui n'ont pas toujours le temps de parcourir la presse quotidienne, ou simples  lecteurs gourmands de littérature. Pourquoi ce geste ? « parce que contrairement aux idées reçues, dit-il, je veux montrer qu'il y a une véritable activité critique en France ».

Ainsi est Frédéric Palierne : généreux, inventif. Ce professeur agrégé (et docteur ! ajoute-t-il en riant) enseigne la culture générale à des élèves préparant un BTS communication au lycée Carcouet à Nantes. Il écrit par ailleurs pour L’École des lettres. Sa prochaine chronique portera sur L'année littéraire au rattrapage en dix oeuvres

On ne compte plus les projets originaux qu'il  développe, et parfois abandonne, pour partager son goût de la littérature. C'est, par exemple, la journée « Tire ta langue » qu'il organise dans le lycée où il enseigne, où sont mises à l'honneur, toutes les langues parlées dans l'établissement, beaucoup plus nombreuses qu'on ne pense. C'est cet improbable « prix Palette » lancé il y a quelques années avec la librairie Vent d'Ouest, qui laissait une grande part au hasard dans le choix du vainqueur, mais qui, en définitive élisait toujours un ouvrage de qualité : Frédéric Ciriez, François Emmanuel, par exemple. C'est encore le site (actuellement en sommeil) « Le génie de la collection » destiné à valoriser l’idée de collection dans la production éditoriale. Partant de la déclaration d'intention qui précède la création de toute nouvelle collection, il entend montrer que « Chacune a son génie propre, sa cohérence, elle est un moment de l'histoire intellectuelle ». Il s'agit bien sûr de projets éditoriaux ambitieux. Et de citer la collection Brèves littératures chez Hatier, conçue par le regretté Michel Chaillou, ou L'un et l'autre, chez Gallimard créée par J.B. Pontalis. Deux grandes figures littéraires qu'il a interviewées pour le site. 

Ranger sa bibliothèque
Ainsi sa bibliothèque personnelle est-elle rangée par collection, aussi par éditeurs. On admettra que c'est visuellement très satisfaisant. Il y a les couleurs déjà : le rouge des Cahiers Rouges de chez Grasset, le vert des Pavillons de Robert Laffont, le jaune des Classiques Garnier. Ça l'est aussi intellectuellement. Une belle rangée d'ouvrages frappés du sigle de Christian Bourgois, ou du logo (choisi par Pérec) de P.O.L. nous en dit beaucoup sur la cohérence, sur les choix esthétiques de l'éditeur. Mais il dit aussi regrouper les livres parce qu'ils vont bien ensemble. Sur une table par exemple, il aime faire des piles de « bon voisinage ». Un livre peut, et même doit donner envie d'aller plus loin, d'aller à la rencontre d'autres, plus anciens. La bibliothèque est en fait en recomposition permanente. Elle « vit » au gré des humeurs, des rencontres.

Frédéric n'a nullement le culte de la nouveauté. Le livre l'intéresse dans la mesure où il appartient à quelque chose de plus grand : une histoire, un continent, toute une œuvre. D'où le goût pour la découverte, la curiosité en constant éveil qui fait les vrais érudits. L'envie aussi parfois de lire tout un auteur pour comprendre comment « ça fonctionne ». Ainsi la lecture d'un Christian Oster l'a incité à en emprunter d'autres à la médiathèque. La découverte de Kyoto de Kawabata l'ayant passionné, il en a lu trois autres dans la foulée, chinés chez les bouquinistes. Il peut entrer dans des « périodes » entièrement vouées à un seul auteur. Il se souvient d'une période Sebald, d'une autre De Lillo.

Relire c'est redécouvrir. 
Essentielle aussi, la pratique de la relecture. On ne lit pas, dit-il, de la même façon à 40 ans qu'à 20 ans. Ç'a n'a même rien à voir. Relire c'est redécouvrir. Comme il arrive souvent que plusieurs livres soient en cours, on trouvera se côtoyant en bonne intelligence, un classique lu et relu, un polar américain de la grande époque (Ed Mac Bain : Cause toujours ma poupée) et, un ou des livres d'art, (les catalogues d'exposition, dont il est amateur, sont dit-il, fort bien écrits.) On trouvera encore dans les lectures du moment, une biographie de Musil lentement dégustée, et une BD plutôt classique.

Où trouve-t-il ses livres ? Tous les lieux du livre sont bons pour attiser sa curiosité, satisfaire sa gourmandise. Les médiathèques sont idéales pour explorer un catalogue, ou une œuvre. Les librairies pour l'actualité, mais aussi pour la qualité des fonds de certaines, et l'échange possible avec un/une libraire (Frédéric est sociable et volubile). Les bouquinistes enfin, pour le plaisir incomparable de la « chine », le bonheur de trouver ce que l'on n'osait espérer. Ainsi est-il un habitué de la brocante du samedi matin à Nantes. Est-ce là qu'il a découvert Georges Lambrichs dont il fait grand cas ? Ou Mircea Eliade ? Quel souvenir garde-t-il de ses premières émotions littéraires ? Il se souvient, lorsqu’il était enfant, d'avoir lu tout Fantômette ! Plus tard, trouvé dans la bibliothèque familiale La chronique des Pasquier, un monument qu'on ne lit plus guère, ou Les frères Bouquinquant de Jean Prévost, qu'il a retrouvé avec plaisir réédité dans la collection L'imaginaire.

Devant l'étendue et la variété de ses goûts, et si par une absurde hypothèse, il fallait ne retenir qu'un nom dans sa bibliothèque idéale. Après réflexion, il dit : « Jean Échenoz m'a accompagné toute ma vie ». Fantômette est bien loin !

 


Frederic Palierne, professeur agrégé de lettres modernes, docteur en littérature comparée, enseigne en classes post-bac de Lycée. Il s'occupe de programmes de réussite pour les étudiants issus de bac pro ou STMG à l'Université. Il a enseigné l'édition  (à Rennes) et les textes critiques de l'Histoire de l'art (à Nantes).