Vingt sonnets à Marie Stuart, de Joseph Brodsky

Publié le 02/07/2015 par Gérard Lambert-Ullmann
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Prix Nobel de littérature en 1987, Joseph Brodsky (1940-1996), poète russe exilé aux Etats-Unis, est l’auteur d’une œuvre évidemment hantée par l’exil, la mémoire et l’Histoire, les bifurcations de son propre destin.

Dans ces Vingt sonnets à Marie Stuart, il superpose le visage d’une femme qu’il a jadis aimée à celui de la reine déchue dont il a croisé la statue au jardin du Luxembourg.

Dans une langue qui mène le trivial au sublime, il nous livre une rêverie mélancolique qui, s’éloignant souvent de son prétexte, n’en est pas moins une formidable rencontre entre le passé et le présent, l’allégorique et le vivant.

Cette édition ajoute au charme du texte l’avantage d’en présenter trois traductions, deux en français (par Claude Ernoult et André Markowicz) et une en anglais (par Peter France) à laquelle Brodsky lui-même a participé. Par une construction habile, chaque traduction est mise en regard du texte russe d’origine et des autres traductions sans que cela alourdisse la lecture.

On peut ainsi voir à quel point la traduction est une réécriture, et ce que chacune apporte à la langue de l’auteur en mettant en scène ses subtilités. Très différentes, ces trois traductions sont toutes d’une grande force et ne trahissent en rien l’auteur, quoique s’éloignant parfois assez nettement de l’original. Elles invitent à une lecture savoureuse, comme si l’on se trouvait devant une table où seraient disposés plusieurs plats exquis de cuisines différentes concoctées avec les mêmes ingrédients. C’est ainsi à une dégustation polyphonique que cette édition nous convie, tout autant qu’à une réflexion sur le travail de traduction.

Mais laquelle de ces traductions est la plus fidèle ? Cette question est-elle nécessaire ? Ne peut-on lire chacun de ces textes pour lui-même ? Si, bien sûr. Car chacun est une œuvre en soi.

Et ce n’est pas un des moindres mérites de l’auteur que de les avoir rendues possibles. Ainsi vérifie-t’on que, loin de se faire "voler" son texte par le traducteur, l’auteur lui en fait cadeau.

Joseph Brodsky, Vingt sonnets à Marie Stuart , Les doigts dans la prose (18 €) 192 p. ISBN 9782953608359