Au cœur du Goncourt des Lycéens, à Pornic | L'annonce (1/5)

Publié le 08/12/2015 par Yann Daoulas
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Une première L du Lycée du Pays de Retz (Pornic) a participé cette année au Prix Goncourt des Lycéens. Comme ceux d'une cinquantaine de classes en France, ces lycéens ont reçu pour mission de lire l'ensemble de la sélection Goncourt et d'élire leurs trois livres préférés. Leur professeur de français raconte cette histoire de son point de vue, contrebalancé par celui de quelques élèves.

L'annonce

Un long silence fixe. Je ne m'y attendais pas. Je craignais des protestations (« Lire quatorze livres ? Mais c'est impossible ! » « Pourquoi nous ? On n'a rien fait ! »), j'espérais sans y croire une effervescence de questions curieuses. Rien de tout cela n'a eu lieu. Les élèves de 1L1, que je connais à peine, nous fixent, moi et ma consoeur documentaliste, mystérieusement mutiques. Ils n'ont pas l'air choqués ; ils ne paraissent pas non plus indifférents, comme ceux qui gardent le silence pour que rien ne leur soit reproché et qu'ils puissent retourner aux choses importantes de la vraie vie qui les attendent dans le couloir. Alors nous risquons un :

        Alors, ça vous fait plaisir ?

        Oui, heu oui, bien sûr heu... répond la jeune fille dont je ne connais pas encore le nom mais que je remercie mentalement pour son dévouement.

L'annonce faite à la classe de son élection pour participer au Goncourt des Lycéens 2015 vient s'ajouter à la sensation d'irréalité que j'éprouve depuis le début de cette affaire. Sur proposition du proviseur, nous avons écrit une bafouille en dix minutes pour demander à participer au Prix ; j'aurais donc du mal à faire croire que cette participation était un fantasme de longue date, que je rêvais en me rasant d'emmener une troupe d'écoliers ébahis herboriser dans les bois chamarrés de la littérature contemporaine.

Quelques temps plus tard nous parvient la réponse positive, accompagnée d'une avalanche de mails et d'une injonction à venir tous ensemble à Paris recevoir l'onction. Moi, à cette date, je fais passer les oraux du bac, et je me demande combien de profs encadrant l'opération sont dans mon cas ; la moitié ? les trois-quarts ? Le compte-rendu que ma consoeur me fait de cette réunion ne parvient pas à me persuader que tout cela se passe pour de vrai.

Je poursuis tout l'été une vaine tentative pour faire rentrer le projet dans le monde réel : je lis qu'il faut aménager des temps de lecture pour les élèves, alléger les devoirs donnés, patienter en attendant l'arrivée des livres en étudiant les prix littéraires, leur histoire, leur importance, leur variété, leur habitat, leur régime alimentaire, leur sexualité. Dans cette perspective, l'année de préparation au bac de mes premières littéraires commence mi-novembre ; c'est une plaisanterie – me dis-je en tongs- on ne peut pas sciemment dès le début de l'année en saboter la fin. Je bricole des solutions. Je constate que je devrai travailler d'arrache-pied au pire moment (les vacances de Noël).

J'ai l'impression d'être le stagiaire tout heureux de s'être vu confier un dossier très important dès son entrée dans la boîte, et qui après deux nuits blanches comprend qu'il s'est fait refiler ce dont personne ne voulait.

Pour couronner le tout, les académiciens Goncourt, une bande d'aoûtistes sans scrupule, ne livrent leur liste que le lendemain de la rentrée scolaire.

Je ne peux rien préparer, rien, des idées en l'air, des intentions. Pour mon autre classe de première, à peu près tout est prévu jusqu'en 2016 ; pour mes privilégiés, une trame pleine de trous, tendue au-dessus d'un doute abyssal : et si ça ne marche pas ? Et s'ils ne lisent pas ? Que faire ?

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le silence ambigu qui suit l'annonce clôt cette période d'incertitude. Puisque ce projet ne veut décidément pas prendre corps, je le remise à l'arrivée des livres - car il faut à la Fnac trois semaines pour envoyer des livres, contre trois jours à La vie devant soi...- , espérant que la rencontre entre les œuvres et les élèves incarnera un peu mieux ce qui n'est alors qu'une formule, le Prix Goncourt des Lycéens.

 


"Nous étions assis en salle de conférence, écoutant le discours de bienvenue de la direction, lorsqu'arrivé au terme de la présentation de notre année scolaire, le proviseur nous a demandé à nous, la classe de 1L1, de rester dans la salle. Notre professeur titulaire nous avait vaguement parlé plus tôt dans la matinée d'un projet très spécial en début d'année. On s'est tous regardés un peu perplexes. Alors, quand toute la salle fut vidée de tous les autres élèves, le proviseur nous a annoncé que nous allions participer au Prix Goncourt des Lycéens. Comme la plupart de mes camarades, je n'en avais jamais entendu parler. Mais nous étions tous impatients d'écouter notre professeur de français afin qu'il nous explique ce fameux projet." (Loona Noguès)