Au cœur du Goncourt des Lycéens, à Pornic | Débat final (5/5)

Publié le 23/12/2015 par Yann Daoulas
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Une première L du Lycée du Pays de Retz (Pornic) a participé cette année au Prix Goncourt des Lycéens. Comme ceux d'une cinquantaine de classes en France, ces lycéens ont reçu pour mission de lire l'ensemble de la sélection Goncourt et d'élire leurs trois livres préférés. Leur professeur de français raconte cette histoire de son point de vue, contrebalancé par celui de quelques élèves.

Débat final

 

Pour élire le trio de livres préférés de la classe, nous avons essayé de faire un débat franc et honnête, dans la salle des conseils de classe, avec inscription au tableau, votes secrets et tension générale. Je suis mitigé quant au résultat. Les débats ont été très vifs sur certains livres, mais finalement ce sont ceux qui ont provoqué le moins d'échange qui ont été élus, comme si les livres sur lesquels il n'y a rien à dire étaient les plus intéressants...

Quand nous sommes entrés dans la Salle des Actes, dénomination qui ne cesse de me faire rire, s'est abattu sur la classe le silence dont j'ai parlé au début de ce récit. Une fois que je suis longuement intervenu pour dire que je n'interviendrais plus par la suite, il a fallu qu'ils se débrouillent avec ce silence, parlant bas d'abord, n'osant enlever leurs manteaux, s'excusant d'être là dans le haut lieu de la cérémonie scolaire. Le niveau sonore a enflé, à coup d'interventions lapidaires et de « on t'entend pas ! »,  s'est dissous de temps en temps en apartés généralisés, tous commentant pour sa voisine, mais n'a jamais grimpé bien haut.

J'espérais tout en les craignant des escarmouches débordantes ; je suis soulagé-déçu de n'y avoir pas assisté, et je dois me reconnaître victime, comme d’autres, du secret plaisir des combats de coq télévisés qu'on méprise tout en s'en délectant.

Dans la sélection Goncourt, on peut répartir les livres en deux camps assez clairement distincts ; les livres qui tournent autour de l'autobiographie et d'histoires centrées sur notre beau pays (Christine Angot, Un amour impossible, Nicolas Fargues, Au pays du p’tit, Simon Liberati, Eva, Denis Tillinac, Retiens ma nuit, Delphine de Vigan, D‘après une histoire vraie) et les romans « exotiques », qui du coup parlent plus ou moins de politique et d'Histoire :Olivier Bleys, Discours d’un arbre sur la fragilité des hommes, Jean Hatzfeld, Un papa de sang, Hédi Kaddour, Les Prépondérants, Alain Mabanckou, Petit piment, Tobie Nathan, Ce pays qui te ressemble, Thomas B. Reverdy, Il était une ville, Boualem Sansal, 2084 - La fin du monde, Isabelle Autissier, Soudain, seuls, cette dernière marquant une sorte de frontière entre les deux camps, à la fois exotique et intime. Nathalie Azoulai avec Titus n’aimait pas Bérénice, ne rentre pas vraiment dans ces cases et n'a pas vraiment été lue.

Pendant la première partie de l'opération, les élèves ont nettement préféré le premier camp, au point de rejeter les livres les plus clairement politiques et les plus gros, 2084 et Les prépondérants. Après les rencontres de Rennes, le second camp a davantage séduit, surtout parce que les romans « autobiographiques », enluminés par leurs premiers lecteurs, ont déçu les seconds. Le débat a surtout porté sur ces montgolfières échouées. Si le temps de lecture avant vote avait été plus long, peut-être la bascule eût pu être complète ; j'aurais pu ainsi vous régaler d'une analogie avec le café, le vin ou le fromage, en vous disant, par exemple qu'on trouve le Kiri délicieux jusqu'au jour où, le palais affiné par des années de St Nectaire fermier, on y goûte à nouveau, fatale désillusion. Hélas, ce mouvement s'est arrêté en route – peut-être ne serait-il pas allé plus loin - mais a permis aux élèves de considérer le roman de Reverdy fantasmant Détroit détruite par la crise, la robinsonnade d'Isabelle Autissier dressant l'un contre l'autre l'amour et la pulsion de vie, et la recréation par Tobie Nathan de l'Egypte précédant sa naissance, plus consistants que leurs engouements du début.

J'ai eu la confirmation, forcé pendant ce débat, pour la dernière fois, de tenir ma langue, que l'oral oblige mes élèves à dépasser la pauvreté de leurs opinions sur papier : une fois qu'ils avaient dit « Oui mais moi j'ai trouvé ça bien. »et si une opposition se levait, ils cherchaient des angles, pas toujours très cohérents, ni honnêtes, ni dignes du sabir analytique que leurs professeurs de français leur ont imposé, pour appuyer leurs impressions de lecture, souvent pour ne pas laisser à l'autre le dernier mot. Hélas encore, je les ai vus se parler sans espoir visible de convaincre l'autre. Mon secret espoir est qu'il ne s'agissait que d'amour-propre, d'une façon très simple d'éviter de perdre la face ; qu'en réalité, ils se sont faits changer d'avis les uns les autres ; qu'écouter les autres les a conduits à dissiper les charmes de la lecture solitaire et à regarder plus objectivement les mérites des livres lus. Si ce projet a pu les éloigner de l'abominable relativisme du supermarché, du « chacun ses goûts », masque habile du conformisme ;

si, en un mot, cette aventure a pu semer en eux ce sens critique qui n'est rien s'il ne se frotte à celui des autres, alors ça valait le coup.

(Vidéo : Le débat final - Lieu: salle des actes du Lycée du Pays de Retz, 1 rue Georges Charpak, Pornic Date: jeudi 12 novembre au matin Élèves visibles à l'image de gauche à droite (en gras ceux qui prennent la parole): Tamara Lebon (de dos), Eva Guérin, Loann Kermarec, Bruna Jeannot, Coralye Cordon, Gwendoline Gauven, Manuella Le Valligant, Julia Feuvry, Camille Etrillard, Marie Mahé, Amy Ly, Inès Bruneau, Lucie Kleiber, Morgane Leveau et Manon Dauloudet (debout), Goulwen Kerneguez, Amélie Huet; les autres élèves sont de dos et n'ont pas de visages visibles : Théo Bernier, Clarisse Crain, Elizaveta Gorobets, Loona Nogues.)


 

"Nous avions commencés par faire un débat pour réduire de moitié notre sélection. Nous étions répartis par groupe de quatre, nos groupes de français, et nous devions ensemble choisir un livre un éliminer et un à garder. 

Nous avons donc réparti les livres en deux catégories : ceux qu'on gardait et ceux qu'on jetait.

Certains livres étaient retenus dans les deux catégories et, faisant donc débat, furent l'objet d'une grande discussion. Certains livres firent l'unanimité de la classe, comme «Au pays du P'tit », qui fut retiré de la sélection sans autre forme de procès. Et d'autres comme « Discours d'un arbre sur la fragilité des hommes » furent sujet d'une grande discussion. Il fut malheureusement éliminé à mon plus grand regret, mais bon, on ne peut pas faire plaisir à tout le monde.

La sélection passa donc de 14 à 9,  les livres retenus furent : Il était une ville, Un papa de sang, Petit Piment, Ce pays qui te ressemble, Soudain seuls, Un amour impossible,  D'après une histoire vraie, Retiens ma nuit, Eva. Cette réduction de livres avait pour but que nous ayons moins de livres à lire. Mais étant donné que pas mal de livres que j'avais commencés à lire venaient d'être éliminés, il fallait que je me dépêche d'en lire d'autres si je voulais pouvoir donner mon avis lors du débat final.

 

A peu près trois semaines plus tard a donc eu lieu le « Grand débat», le débat final au cours duquel nous devions choisir notre trio de tête.

Pour le débat final, nous sommes allés dans une des salles des professeurs, dans laquelle ont habituellement lieu les conseils de classes. Nous étions donc installés autour de cette table de réunion qui donnait un côté très officiel à l'événement, et pouvait être un peu perturbant au début, lorsque l'on savait que les professeurs se réunissaient à cet endroit pour parler de nous ( en bien, évidemment !!!).

Nous avons parlé des points négatifs et positifs de chacun des livres, l'un après l'autre. Le débat a duré deux longues heures, au cours desquelles nous avons échangé nos points de vue. La discussion fut très mouvementée. Certains livres furent sources de beaucoup de débat, d'un peu trop de débat même, comme Christine Angot, qui a canalisé pas mal de temps en débat. J'ai cru un moment que nous allions ressortir de cette salle sans avoir choisi de trio de tête.

Une fois les débats terminés, nous avons procédé au vote. Nous avons chacun noté trois livres sur un papier puis nous en sommes venus à un trio de tête : Ce pays qui te ressemble, Soudain seuls et Il était une ville.

Notre déléguée de classe pour le Goncourt, Eva Guérin, a ensuite été les défendre lors des délibérations régionales."

 

Gwendoline Gauven