Au cœur du Goncourt des Lycéens, à Pornic | (4/5)

Publié le 21/12/2015 par Yann Daoulas
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Une première L du Lycée du Pays de Retz (Pornic) a participé cette année au Prix Goncourt des Lycéens. Comme ceux d'une cinquantaine de classes en France, ces lycéens ont reçu pour mission de lire l'ensemble de la sélection Goncourt et d'élire leurs trois livres préférés. Leur professeur de français raconte cette histoire de son point de vue, contrebalancé par celui de quelques élèves.

Rencontre avec le club lecture

 

Bien entendu, c'est le contraste qui frappe. Je le dis tout de suite à la bibliothécaire de Pornic qui nous reçoit : la jeunesse devant la vieillesse. Je ne le dis pas comme ça, je trouve une formule plus adoucie, enfin pas non plus qui unit dans son lit les cheveux blonds les cheveux gris, mais certainement quelque chose dans ce goût-là.

C'est un constat mélancolique que je rumine avant de faire mon petit numéro de Monsieur Loyal du Goncourt des Lycéens : de jeunes gens ayant la vie devant soi, de vénérables retraités ayant parcouru la carrière, voilà les lecteurs de la littérature. Entre les deux, rien ?

Je songe à ma propre anorexie de lecture, quand le Travail à l'oeil froid et au rictus sarcastique a démoli à coups de masse ce qui rythmait ma vie depuis l'enfance ; incapable de lire je m'endormais ; même éveillé les pages me dégoûtaient. Je songe à mes lentes années de reconquête et à leur prix, et donne raison à Claro qui démontre que la lecture littéraire est toujours clandestine dans la plupart des existences de nos contemporains.

Quand le contraste s'anime, ma mélancolie disparaît. Les membres du club lecture confient mezzo vocce leur impatience d'entendre la « voix de la jeunesse ». A ceux qui s'adressent directement à moi, je n'ose promettre des choses ébouriffantes : mes élèves n'ont jamais montré à propos de cette rencontre prévue de longue date qu'un enthousiasme mesuré, à peine en-dessous de celui qu'ils manifestent quand on leur annonce un menu Nouvelle Orléans à la cantine. Ils ont pourtant l'air contents d'être là. Ils s'agitent, dansouillent d'un pied sur l'autre, éclatent de rire, toujours en lançant des regards curieux sur leur public.

Les présentations commencent. Sachant que les lecteurs chenus connaissent les livres (probablement mieux qu'eux-mêmes), les lecteurs sans rides passent directement à leurs opinions, justifiées, argumentées, tranchées. Mon ébahissement va croissant. Alors que les travaux écrits parfaitement similaires que je leur ai demandés sont souvent courts et inconsistants (« j'ai accroché parce que ça se lit bien »), les voilà qui parlent construction de personnage, pertinence du point de vue, vraisemblance des situations. Ça branle du chef à qui mieux mieux dans le public. Plusieurs aînés louent les cadets pour leur finesse d'analyse. Je vois et entends à quel point cette reconnaissance publique fait du bien à tous les élèves qui interviennent : leur opinion est acceptée, parfois vivement discutée, mais toujours tenue en haute considération. Je m'étais bien trompé : j'envisageais cette réunion publique seulement comme un entraînement à la prise de parole en vue du débat final, pas plus ; je n'avais pas imaginé tout ce que la bienveillance d'adultes hors du contexte scolaire pouvait leur apporter.

Après la réunion, on nous invite à boire des verres de jus d'orange tout en discutant librement. Les âges se mélangent sans difficulté, mais l'horaire nous coince. On nous dit une bonne demi-douzaine de fois « Il faudra revenir, c'est trop court ». Tout le monde est content. Un journaliste, au moins, immortalisera ce moment inattendu ; mais comme il l'a fait en entraînant à part trois élèves pour écouter leurs réponses à ses questions - réponses qu'il n'a pas dû bien écouter puisque lesdits élèves ont protesté devant l'article : « On n'a jamais dit ça ! Et on a une sale tête sur la photo ! » -, il n'a pas pu partager ce que j'ai ressenti : une fierté et un étonnement incrédule,

cette sensation qu'on éprouve quand, sortant du four un gâteau fait pour la première fois, on voit qu'il est exactement comme celui du pâtissier, on n'arrive pas à croire qu'on en est responsable, et on se persuade que ce sont les ingrédients qui ont tout fait, tout seuls.

 

 

 



"Pouvoir discuter, débattre, interagir avec des personnes passionnées, intéressées par la littérature, c'est vraiment un plaisir ! Grâce au prix Goncourt des lycéens, moi, lecteur à temps partiel j'ai pu discuter « littérature » avec des lecteurs aguerris.

Tout ça s'est déroulé le Jeudi 15 Octobre 2015 à la Médiathèque Armel de Wisme  à Pornic, dans une ambiance chaleureuse et calfeutrée.

 

Ce matin là, je ressentais comme une sorte d'excitation du fait de parler devant des personnes, de donner mon point de vue personnel sur mon livre préféré.

Ce genre de mini-conférence a eu lieu dans une salle banale, avec de simples chaises alignées et deux tables à l'avant, pour pouvoir nous accueillir avec le club lecture.

Après m'être installé, manteaux et sac posé, tout le monde assis, nous pouvions  commencer. Mon professeur de français commença par introduire le prix dans sa totalité. Depuis quand existe-il ? D'ou vient il ? Pourquoi notre classe avait été choisie ? Comment nous avions travaillé pour lire un maximum de livres ? Quelques détails qui servirons à la compréhension de la suite.

Des journalistes étaient présents dans la salle, histoire de promouvoir le prix, présent dans le lycée, quelle chance ! Deux trois photos ont fini dans des journaux locaux.

Les premières personnes se lèvent, et vont présenter leur livre Un papa de sang de Jean Hatzfeld. La présentation, plus l'avis des lecteurs, fait lever quelques mains pour plus de précisions, des questions pertinentes et des réponses débordantes de bon sens et d'arguments se font entendre.

Les présentations se suivent : D'après une histoire vraie de Delphine de Vigan, ensuite vient le livre que je devais présenter,  je me lève de ma chaise avec toujours cette petite excitation de parler, je vais devant avec mes camarades qui avaient envie comme moi de présenter Un amour impossible de Christine Angot, mon avis sur ce livre était déjà tout tranché, j'ai adoré !  Les autres partageaient presque le même ressenti que moi. Le rituel mis en place, les questions ont pris suite de la présentation-avis. Certaines questions posées m'ont fait réfléchir à la valeur de cette œuvre sans influencer mon jugement, seulement, entendre un avis extérieur de sa classe, de son entourage, m'a servi à voir ce livre sous un angle différent. Je vais me rassoir, les autres présentations se suivent en passant par Eva de Simon Liberati jusqu'à Discours d'un arbre sur la fragilité des hommes d'Olivier Bleys, sans délaisser Il était une ville de Thomas B. Reverdy. Certains livres ont fait plus débat que d'autre comme Eva, un débat long et un peu ennuyeux pour un livre de ce genre, tandis que le débat sur Discours d'un arbre sur la fragilité des hommes a été intéressant et ne m'a pas perdu dans le monde du « je m'en fiche quand est-ce que l'on passe au suivant » .

Après deux heures de riches échanges, il était temps de retourner au lycée pour reprendre les cours, je suis ressorti de la médiathèque avec une envie palpable de rester avec ces personnes chaleureuses du club lecture et de la médiathèque.

        Pour une première rencontre littéraire, je n'ai pas perdu mon temps et ne regrette pas du tout d'avoir perdu deux heures de cours.

 

(Erwann Chevalier)